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SKeyes Center for Media and Cultural Freedom - Samir Kassir Foundation

Après une convocation par Hajj Hassan, des médias dénoncent une tentative de museler l’information

Samedi 20 février 2021

Mercredi dernier, trois grandes chaînes d’information, LBCI, MTV et al-Jadeed, étaient convoquées par la commission parlementaire de l’Information, présidée par le député du Hezbollah, Hussein Hajj Hassan. Parallèlement, la diffusion de la MTV était bloquée dans plusieurs quartiers de la banlieue sud de Beyrouth, de la Békaa et du Liban-Sud connus pour abriter une importante base partisane du Hezbollah. Et ce après la diffusion par la chaîne MTV d’une émission politique animée par la journaliste Dima Sadek, (« Haki sadek »), lors de laquelle cette dernière avait incriminé le parti chiite dans l’assassinat de l’intellectuel anti-Hezbollah, Lokman Slim, le 4 février. Au menu de la réunion à laquelle étaient « invités » ces médias télévisés, les « propos diffamatoires », que Hajj Hassan a appelé à censurer. « Il est demandé de censurer tout ce qui provoque des tensions et menace la paix, de censurer les insultes et les attaques verbales, et enfin de censurer la diffamation », avait-il alors lancé, demandant par le fait même si « l’insulte sur les chaînes de télévision, c’est bien cela la liberté d’expression ».

Tentative de museler l’information

Les médias convoqués devant la commission parlementaire dénoncent une tentative de museler l’information libre. Ils accusent aussi le Hezbollah d’utiliser le Parlement (la commission parlementaire) pour intimider leurs détracteurs, leur adressant des menaces à peine voilées. « Nous avons été officiellement invités à une réunion de discussion. Mais nous avons réalisé qu’il s’agissait d’une mise en scène destinée à resserrer l’étau autour des médias qui dénoncent l’hégémonie du Hezbollah et ses exactions », déplore à L’OLJ Ghayath Yazbeck, directeur de l’information et des programmes politiques à la MTV. Le responsable énumère « les atteintes miliciennes à la liberté de la presse, les armées électroniques particulièrement actives sur les réseaux sociaux, les deux-roues et voitures aux vitres teintées toujours prêtes à agir lorsque des journalistes sont indésirables, les atteintes physiques et morales contre ces derniers, sans oublier les convocations de toutes sortes dès lors qu’un reporter touche à un sujet tabou ». M. Yazbeck reconnaît certes que « Dima Sadek est allée trop loin ». Qu’elle a été particulièrement agressive envers le Hezbollah, quitte à dépasser les limites du journalisme. « Nous en avons discuté en interne et nous nous excusons de ce dérapage. Mais cela ne justifie pas la cabale menée contre la chaîne, comme les accusations de sionisme et de conspiration contre la résistance, ou le boycott de la MTV dans certaines régions du pays », martèle M. Ghayath. Le journaliste persiste et signe, rappelant l’engagement de la chaîne contre l’occupation syrienne. « Notre ligne éditoriale est claire. Notre rôle d’information et de critique, nous allons le poursuivre, particulièrement à l’égard d’une classe politique corrompue qui a mené le pays à la ruine. »

Depuis, la polémique enfle. Non seulement sur la liberté d’expression et ses limites dans un pays où la répression augmente à vue d’œil contre la presse et les opposants au régime, mais aussi sur l’exercice journalistique et ses dérives. Une polémique telle que le président de l’ordre des rédacteurs de presse, Joseph Kossayfi, a convié hier les attachés de presse de 24 partis politiques locaux à une réunion consultative au siège de l’institution. Considérant que « les organes de presse sont majoritairement détenus par les partis politiques », il les a invités à « modérer leur discours politique » et à « respecter les règles de la confrontation médiatique », dans le sens de « l’intérêt national et non partisan ». Tout en se disant attaché à la liberté d’expression, le syndicaliste a appelé dans ce sens « à l’adoption d’une charte médiatique nationale » contraignante pour tous les partis et les forces vives de la société, avec pour objectif de « céder la place au dialogue et de trouver des solutions ». M. Kossayfi a enfin appelé à « l’adoption rapide d’une loi cohérente et complète sur l’information ».

Le Parlement utilisé illégalement pour terroriser les médias

Dans la foulée, ont afflué des messages de solidarité à l’égard des médias, des condamnations contre les pratiques du Hezbollah aussi. Comme ce tweet du Bloc national qui dénonce la « tentative des députés du Hezbollah d’utiliser l’hémicycle, gardien de la démocratie, pour terroriser les médias (…) ». « Il s’agit d’une atteinte à la Constitution, garantie des libertés publiques et individuelles », ajoute le parti politique. Comme ce communiqué aussi de la Fondation Maharat qui qualifie « d’illégale » la convocation adressée aux organes de presse audiovisuels. « Une commission parlementaire composée de politiciens et de partisans ne peut décider de questionner des médias sur un sujet qui touche à l’influence sur l’opinion publique », martèle encore l’ONG qui défend les libertés de pensée et d’expression. Après le député des Kataëb, Samy Gemayel, les députés des FL, Georges Okaïs, et du PSP, Faycal el-Sayegh, sont aussi montés au créneau, dans une condamnation ferme des atteintes à la liberté de la presse.

Pour Ayman Mhanna, directeur exécutif de la Fondation Samir Kassir, qui milite pour la liberté de la presse notamment, ce qui s’est déroulé en commission parlementaire est un « scandale », compte tenu du « pouvoir élevé de menace du Hezbollah ». « C’est une véritable attaque contre les libertés, dans un climat particulièrement dangereux », insiste-t-il. « Les institutions ne réagissent que lorsque les parties politiques desquelles elles sont proches sont critiquées, explique-t-il. Parallèlement, les journalistes sont sans cesse harcelés, intimidés, menacés. » M. Mhanna critique aussi la politique des deux poids deux mesures du parti chiite. « Le Hezbollah n’a pas hésité à bloquer les chaînes MTV et al-Jadeed dont le contenu lui a déplu. Il avait pourtant condamné la décision de l’opérateur de communications par satellite Arabsat de rompre son contrat avec la chaîne al-Manar liée au Hezbollah. » Quand au journalisme d’opinion, exercé notamment par Dima Sadek, M. Mhanna rappelle qu’il a toujours existé au Liban dans l’ensemble des médias, dans les introductions des journaux télévisés notamment. « C’est une aberration, et certaines pratiques sont non professionnelles, car les accusations sont basées sur une opinion », reconnaît-il. « Il n’en reste pas moins que le droit de la journaliste doit être respecté tant que l’éthique professionnelle n’est pas imposée légalement à tous au Liban, même aux plus puissants », précise-t-il en allusion à l’arsenal de la milice dirigée par Hassan Nasrallah.

Le Hezbollah se défend

Du côté du Hezbollah, on rejette en bloc ces accusations. « Nous n’avons jamais muselé, ni intimidé personne, et n’avons aucun pouvoir sur les médias dans ce sens », martèle le député Anouar Jomaa, membre de la commission parlementaire de l’Information, contacté par L’OLJ. Il ajoute en revanche que « le parti ferme les yeux sur les attaques qui le visent », mais que « la base populaire du Hezbollah pourrait, elle, se sentir provoquée ». « Nous ne la contrôlons pas », affirme-t-il. M. Jomaa laisse toutefois entendre que le parti de Dieu pourrait « recourir à la justice dans l’affaire de la MTV ». « Ce n’est pas du journalisme, mais une campagne orchestrée et déchaînée contre nous », accuse-t-il, citant diverses émissions. Dans ce cadre, qu’en est-il de la liberté d’expression ? « Nous sommes en faveur d’une liberté de la presse avec des garde-fous », souligne-t-il, évoquant l’engagement du parti auprès « d’un pays aux soins intensifs, marqué par les divisions politiques ».

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