Il fut un temps où Samir Kassir était le seul journaliste à oser défier l’appareil sécuritaire syro-libanais, omniprésent et omnipotent, à dénoncer la servitude volontaire de la quasi-totalité de la classe politique libanaise, à traiter des affaires syriennes comme l’aurait fait un démocrate syrien, à exalter la Palestine, non pas cause abstraite mais réalité vivante d’hommes et de femmes qui subissent l’occupation et le déni de leurs droits nationaux et humains.
Dans ses articles, dans ses livres, dans ses interventions publiques, il revendiquait pour les Libanais, pour les Syriens, pour tous les Arabes, le droit de vivre libres et égaux dans des Etats de droit. Il prônait une intégration lucide et sans complexe dans le monde moderne. Il expliquait que la résistance à l’hégémonie israélo-américaine au Proche-Orient ne nous dispense pas mais, au contraire, exige de nous de combattre avec la même détermination et le despotisme et l’obscurantisme, les deux fléaux qui ont transformé le monde arabe en un immense champ de ruines.
Quelques mois seulement avant son assassinat par des monstres, le 2 juin 2005 Samir Kassir a publié un petit livre, « Considérations sur le malheur arabe », qui est devenu en quelque sorte son testament. En le relisant aujourd’hui, on constate que le tableau qui y est dressé du monde arabe s’est assombri davantage. Encore plus d’arbitraire, de corruption, d’irrationalité, de hargne dans l’autodestruction. Encore plus de despotisme au nom de la sécurité nationale ou de la paix sociale. Encore plus de populisme qui ne fait que conforter ceux qu’il prétend combattre. Toutes choses qui nous incitent à méditer ces lignes sur lesquelles se termine le livre :
« Envisager dans l’immédiat la fin de la chaîne du malheur serait sans doute trop ambitieux (…) Mais rien, ni la domination étrangère, ni les vices de structure des économies, encore moins l’héritage de la culture arabe, n’empêche de rechercher, malgré les pires conditions du présent, la possibilité d’un équilibre.
Pour y parvenir, bien des conditions sont nécessaires et toutes ne dépendent pas des Arabes. Mais à défaut de les réunir toutes, il est encore possible de forcer le destin en commençant par celle qui est la plus urgente et sans laquelle il n’est point de salut : que les Arabes abandonnent le fantasme d’un passé inégalable pour voir en face leur histoire réelle. En attendant de lui être fidèle. »