En moins d'une semaine, le directeur du média en ligne indépendant Megaphone News a reçu deux convocations à la suite de la publication d’un article critiquant des dirigeants du pays, dont le procureur qui est lui-même à l’origine de ces convocations. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un nouveau cas d'intimidation à l'encontre des journalistes dans le pays.
Jean Kassirs’engageait dans une ruelle de Beyrouth, lorsque deux hommes en civil tapent à la vitre de sa voiture et lui remettent une convocation pour se rendre, le lendemain, vendredi 31 mars, à un interrogatoire à la Direction centrale de l’inspection, un bureau lié à la Direction générale de la sécurité de l'État. Aucun motif n’est précisé sur la convocation. Le directeur du site d'information en ligne indépendant Megaphone News, refuse de s’y rendre : la sécurité de l’État n’étant pas habilitée à enquêter sur les journalistes, Jean Kassir opte de se faire représenter par son avocate.
Si aucun motif n’était précisé sur la convocation, Megaphone News constate que celle ci fait suite à la publication, le 1er mars, d’un post intitulé "Le Liban gouverné par des fugitifs de la justice", qui liste nommément plusieurs personnalités libanaises, échappant à la justice “pour divers crimes, allant du pillage de l’argent public à l’enrichissement illégal, en passant par l’obstruction à la loi”. Toujours selon Megaphone News, c’est le procureur général Ghassan Oueidat, dont le nom figure sur la liste des “fugitifs de la justice”, qui a donné l’ordre d’enquêter sur le média. Inculpé dans l'affaire de l'explosion du port de Beyrouth, ce procureur est connu pour avoir lancé en janvier 2023 des poursuites contre Tarek Bitar, le juge d’instruction indépendant chargé de l’enquête.
Cette convocation est d’autant plus surprenante qu’aucune plainte officielle n'a été déposée à l'encontre de Jean Kassir. “Si le procureur général veut respecter la loi, il doit saisir le tribunal des publications, puisque Megaphone News est enregistré comme site web médiatique auprès du ministère de l'information", souligne son avocate.
Bien qu’il ne soit pas rare au Liban que des journalistes soient convoqués pour être interrogés, la manière dont Jean Kassir l’a été, a provoqué une vague d'indignation. Des journalistes, des activistes, des élus et des organisations de défense de la liberté de la presse ont condamné le procédé sur les réseaux sociaux. Le ministre de l’information libanais Ziad Makari, a par ailleurs annoncé qu'il suivait l'affaire, assurant de son engagement envers le respect de la liberté d'expression, garantie par la constitution libanaise.
Le lundi 3 avril, une manifestation de solidarité a été organisée devant le palais de justice de Beyrouth par la Coalition du syndicat de la presse alternative, une coalition indépendante de journalistes qui ne se considèrent pas représentés au sein du syndicat de la presse traditionnelle. Dans un communiqué, la Coalition a condamné la convocation du directeur de Megaphone News qui rappelle, selon elle, une époque où "les milices interceptaient les voitures et interrogeaient les journalistes dans des cachots sombres qui puaient la torture et les violations des droits de l'homme".
Présent à cette manifestation, Jean Kassir a estimé que le sujet concernait “toute la presse au Liban et tous les citoyens”. “C'est le dernier recours d'un pouvoir qui est incapable de gérer les besoins fondamentaux du pays. Il réduit au silence les journalistes qui racontent l'histoire telle qu'elle est. Mais Megaphone News va continuer à la raconter”, a-t-il assuré au correspondant de RSF dans le pays.
Cela n'a pas empêché la Sécurité de l’État, quelques heures après la manifestation, de se rendre au domicile des parents de Jean Kassir à Beyrouth, pour leur remettre une nouvelle convocation pour le 4 avril. Le journaliste a de nouveau refusé de s’y rendre, laissant son avocate le représenter. Le jour même, il a reçu un appel téléphonique du ministre de l'Information, l'informant que le procureur général avait “retiré sa plainte”. Megaphone News n'a pas été officiellement informé de cette décision.
La couverture par Megaphone News de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth avait déjà entraîné des menaces de poursuites contre le site d’information indépendant. Le 26 janvier, le ministre libanais de la Justice Henry Khoury avait rendu publique son intention de lancer une procédure contre le média, l'accusant de publier des "fausses nouvelles", à la suite d'un post publié sur sa page Instagram, intitulé "Le ministre de la Justice mène un coup d'État contre Bitar". Le ministre de la Justice s’était dit prêt à poursuivre tout média qui aurait, selon lui, "fabriqué et publié des informations fausses et trompeuses” concernant son ministère.