Comme chaque année, le Liban célèbre ce 6 mai la Journée des martyrs de la presse. Elle avait été instaurée initialement pour rendre hommage aux patriotes et intellectuels exécutés pendant la Première Guerre mondiale par l’occupant turc. Ultérieurement, après la guerre civile et la fin de la tutelle syrienne, la commémoration a été concentrée sur les journalistes morts dans l’exercice de leurs fonctions durant le conflit et aussi sur tous ceux qui ont été froidement assassinés et dont la mort – pour un grand nombre d’entre eux – a été imputée notamment au régime Assad et ses alliés au Liban.
En 2025, toutefois, la célébration revêt une dimension particulière, alors que le Liban sort d’une guerre de plus de treize mois entre le Hezbollah et Israël (octobre 2023-novembre 2024). « L’agression israélienne a pris fin, mais les photos documentant ses atrocités sont toujours là, et la mémoire de nos collègues tués restera toujours présente », lâche le photojournaliste Fadel Itani.
Selon les chiffres du centre SKeyes pour la liberté des médias et de la culture, douze journalistes travaillant pour le compte de médias locaux et internationaux ont été tués durant ce conflit, tandis qu’au moins 21 autres ont été blessés. Trois de ces derniers ont été atteints en janvier 2025, près de deux mois après le cessez-le-feu, alors qu’ils couvraient le retour d’habitants du Liban-Sud à Maroun el-Ras (Bint Jbeil) et Houla (Marjeyoun).
Comme ses collègues ayant couvert le conflit, Fadel Itani continue d’en porter les stigmates et de réclamer justice. Quel bilan peut-on dresser aujourd’hui quant à la situation du journaliste au Liban et quelles sont les revendications des professionnels ? L’Orient-Le Jour fait le point.
« Violations dangereuses »
Pour Jad Shahrour, responsable médias chez SKeyes, la situation est alarmante, notamment dans un pays en crise multidimensionnelle depuis 2019. « Le journaliste au Liban ne travaille pas dans des conditions normales. Il est délaissé, en l’absence de lois qui garantissent ses droits professionnels et financiers », déplore-t-il.
Bien que le Liban ait progressé de huit places dans le dernier classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, il n’y voit pas un motif de soulagement : « Le nombre de violations recensées de la liberté d’expression a peut-être diminué, mais cela ne veut pas dire que les journalistes ne sont pas exposés à d’autres types de violations plus dangereuses. »
« Quand des journalistes meurent toujours dans le pays et quand les médias qui lèvent le voile sur la corruption, notamment dans le système bancaire, sont confrontés à des affaires infondées visant à les affaiblir, cela veut dire que le pays n’est malheureusement pas prêt à divulguer la vérité et combattre la corruption », dénonce-t-il, espérant néanmoins que « les auteurs de crimes à l’égard des journalistes et leurs familles rendront un jour des comptes ».
« Martyrs de la vérité »
Pour Issam Moussaoui, 58 ans et photo-journaliste pour al-Jazeera blessé en novembre 2023 à Yaroun, le conflit au Liban était parmi les plus éprouvants de ses 36 ans de carrière. « J’ai couvert la guerre en Afghanistan, en Irak, en Ukraine. En termes de violence des frappes, la guerre au Liban était la plus dure et dangereuse à couvrir, bien que je connaisse bien le pays », reconnaît-il.
Les défis à relever s’annoncent également de taille pour Jacinthe Antar, 24 ans, qui affirme toutefois vouloir se livrer pleinement à ce métier. La jeune femme, qui a entamé sa carrière il y a près de deux ans auprès de la chaîne al-Jadeed, affirme que la couverture de la guerre a « énormément impacté (s)a santé mentale ». « Je me réveillais des fois la nuit en sursaut et pensais que j’allais mourir », souligne-t-elle. « Nous étions exposés aux bombardements, mais c’était mon choix », poursuit-elle, appelant à ce que de meilleures mesures de sécurité soient assurées aux journalistes.
« Imposer des sanctions internationales »
Même son de cloche du côté de Nahed Youssef, qui travaille pour le compte de la chaîne panarabe al-Arabiya. La journaliste, qui affirme avoir été encerclée par les combats entre le Hezbollah et Israël avec son équipe pendant deux mois et demi dans la localité frontalière de Rmeich, salue les efforts déployés par la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) et l’armée libanaise pour leur venir en aide dans une zone sans accès aux télécommunications. « Il est indispensable qu’on ait au Liban davantage de formations sur la couverture de la guerre dans les zones de conflit », plaide-t-elle, au moment où SKeyes est la principale à fournir ce genre de formation au personnel médiatique. Elle a également appelé la communauté internationale à se mobiliser pour protéger les journalistes.
Joint par L’OLJ, le ministre de l’Information Paul Morcos a salué « le courage, le dévouement et le sacrifice de ceux qui ont risqué ou perdu leur vie pour informer, dénoncer les injustices et défendre la liberté d’expression ». Il a à son tour appelé la communauté internationale à « trouver des mécanismes contraignants pour l’application des résolutions internationales qui protègent les journalistes, en particulier en temps de conflit, notamment la résolution 1738 du Conseil de sécurité de l’ONU qui condamne les attaques contre les journalistes, les professionnels des médias et le personnel associé dans les situations de conflit armé ». « Il faut imposer des sanctions internationales contre les États ou groupes armés qui ciblent les journalistes », poursuit le ministre.