La comédienne Shaden Fakih est une nouvelle fois au cœur d’une polémique depuis mercredi, après la diffusion en ligne d’une performance où elle évoque l’islam. Une demande d’ouverture d’une information judiciaire à son encontre a été présentée jeudi par Dar el-Fatwa, la plus haute instance religieuse sunnite du Liban, qui accuse la jeune femme de « blasphème à l’encontre de Dieu et du prophète Mohammad, d’atteinte à la religion et ses symboles, d’incitation aux conflits religieux et sectaires et d’atteinte à l’unité nationale », selon l’Agence nationale d’information (ANI, officielle).
Contactée par L’Orient-Le Jour, la famille de la comédienne n’a pas souhaité commenter l’affaire. Shaden Fakih était pour sa part injoignable dans l’immédiat et serait actuellement en tournée au Canada.
Atteinte « à la paix civile »
Dans sa missive à la justice, Dar el-Fatwa dit avoir agi « à la demande du mufti de la République libanaise, le cheikh Abdellatif Deriane, et dans le souci de préserver la paix civile ». L’instance religieuse précise ensuite avoir envoyé au parquet un enregistrement du passage qui fait polémique.
De nombreux internautes ont repris la vidéo et accusé Shaden Fakih de porter atteinte aux valeurs de l’islam. Parmi eux, le cheikh Hassan Merheb, un responsable au sein de Dar el-Fatwa suivi par près de 44 000 abonnés sur le réseau X. Il qualifie la comédienne de « femme qui cherche la notoriété et l’argent, même si c’est par le biais du blasphème, de l’immoralité et de la désobéissance », tout en appelant à la poursuivre en justice.
Réagissant aux publications du cheikh Merheb, un internaute a pour sa part appelé le Haut Conseil chiite à porter plainte contre la comédienne, « parce que cette vidéo porte atteinte à tous les musulmans ».
Des dizaines de comptes sur X, dont certains vraisemblablement proches du Hezbollah, ont également partagé le sketch en question et insulté la comédienne pour ses prises de position ainsi que son orientation sexuelle, alors que Shaden Fakih se revendique de la communauté LGBT. Une internaute qui s’affiche comme partisane de la formation chiite a accusé « ceux qui défendent Shaden Fakih d’entraîner le pays vers plus d’immoralité ». Un autre utilisateur a dénoncé la « pensée diabolique » de la comédienne et sa « promotion de la déviance » et de l’« athéisme ». Une manifestation a même été organisée mercredi soir à Tripoli, grande ville du Nord à majorité sunnite, en guise de contestation contre le contenu du sketch.
En 2022, l’artiste avait été condamnée à payer une amende par le tribunal militaire pour « humiliation et atteinte à la réputation des Forces de sécurité intérieure ». La jeune femme avait été poursuivie après avoir publié une vidéo comique dans laquelle on la voit appeler les FSI et leur demander si elles pouvaient lui livrer des serviettes hygiéniques en raison des restrictions imposées pendant la période de confinement en plein coronavirus au Liban.
Campagne « préméditée » ?
« Cette campagne à l’encontre de Shaden Fakih a tout l’air d’être préméditée », analyse Jad Chahrour, responsable médias du centre SKeyes pour la liberté des médias et de la culture. « Le sketch a été filmé en secret, parce qu’il est normalement interdit de filmer dans la salle où Shaden se produit. La vidéo a ensuite été publiée en ligne par des comptes suspects, puis largement diffusée », ajoute-t-il. Une polémique qui pourrait servir, selon M. Chahrour, à faire diversion, à l’heure où le pays est sous le choc après la révélation d’un vaste réseau de pédophilie qui opère sur TikTok. « Cette histoire intervient à l’heure où tout le monde est préoccupé par l’affaire du réseau de pédophilie en ligne. Serait-ce un moyen d’étouffer cette affaire qui implique des enfants et de nombreux suspects ? » demande-t-il.
Pour Jad Chahrour, cette polémique n’est pas sans rappeler les poursuites menées l’année dernière à l’encontre du comédien Nour Hajjar. Ce dernier avait été interrogé en août 2023 pendant 11 heures par la police militaire pour un sketch évoquant l’armée et se moquant du comportement de ses parents lors d’occasions religieuses. Dar el-Fatwa avait également réclamé l’ouverture d’une information judiciaire contre le comédien.
L’ONG féministe Sharika wa Laken a dénoncé jeudi sur X « une campagne d’incitation à la haine (...) qui va jusqu’à appeler au meurtre » de Shaden Fakih. Elle a également critiqué les « organisations patriarcales toujours présentes ».
Le média en ligne Daraj a également pris la défense de Shaden Fakih. « Une fois de plus, les crises successives que vit le pays sont escamotées (...) au profit d’une restriction de la liberté d’expression pour des motifs religieux et confessionnels », dénonce Daraj sur X.