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SKeyes Center for Media and Cultural Freedom - Samir Kassir Foundation

Harcèlement numérique : des personnalités anti-Hezbollah accusées d’être à la solde d’Israël

Jeudi 09 novembre 2023

Une étoile de David maculée de sang placardée sur le front et le slogan sans équivoque « Complice dans le massacre des enfants » : tel est le triste photomontage diffusé sur le réseau X (ex-Twitter) auquel ont été réduites plusieurs personnalités médiatiques libanaises dimanche 5 novembre, peu après la mort tragique des trois fillettes Remas, Taleen et Layan Mahmoud Chour et de leur grand-mère Samira Abdel Hussein Ayoub, tuées par une frappe israélienne près de la localité de Ghedmata, au Liban-Sud.


Les journalistes Dima Sadek (MTV), Rami Naïm (elsiyasa.com), Tony Boulos (Jusur), Nadim Koteiche (Sky News) et Layal Alekhtiar (al-Arabiya), ainsi que le porte-parole des Forces libanaises Charles Jabbour, ont tous été la cible de cette campagne diffamatoire en ligne menée par des comptes pro-Hezbollah, et limitée à eux, accompagnée de messages de haine, voire de menaces de mort. Or si ces personnalités ont en commun d’être critiques envers le parti pro-iranien, elles divergent parfois profondément sur le conflit en cours entre Israël et le Hamas, auquel participe la branche armée du parti chiite depuis la zone frontalière.


« Il y a notamment une vraie différence entre la position anti-israélienne de Dima Sadek et la posture de Nadim Koteiche, favorable aux accords d’Abraham. Or ce que cette campagne vise, c’est de mettre tout le monde dans le même panier pour créer une scène politique binaire où être contre le Hezbollah, c’est être un traître. Les personnalités évoluant dans une zone grise comme Dima Sadek, à la fois anti-establishment et propalestinienne, tout en étant critique du Hezbollah, sont particulièrement visées », analyse Mohanad Hage Ali, chercheur au centre de réflexion Carnegie Endowment.

Armée électronique du Hezbollah

Pour Dima Sadek, cette nouvelle campagne numérique, dernière d’une longue série d’attaques contre la journaliste, a été particulièrement difficile à vivre : « Je viens d’un contexte de gauche, propalestinien, et cela fait un mois que je dénonce les crimes israéliens commis à Gaza avec le soutien américain. Pourtant, je suis en parallèle régulièrement accusée d’être une “collabo”. Jusqu’ici je n’y accordais pas d’importance, car pour moi la cause palestinienne et la dénonciation du crime contre l’humanité en cours à Gaza priment », dit-elle. Mais pour cette femme originaire du Liban-Sud, « voir des enfants massacrés dans ma région et me faire accuser de complicité, c’en était trop ». Sur X, sa réponse cingle : « Les agents, ce sont ceux qui ont vendu notre gaz à Israël », écrit-elle le 6 novembre, en référence à l’accord du 27 octobre 2022 entre l’État hébreu et le Liban sur le contentieux autour de la délimitation de la frontière maritime des deux pays.

Pas étonnant, selon elle, d’être placée aux côtés de personnalités aux vues politiques parfois diamétralement opposées aux siennes : « Ils n’ont aucune notion de la nuance et sont incapables de différencier entre la critique et le fait d’être un traître », dit-elle en référence aux soutiens du Hezbollah en ligne. Car pas de doute pour Jad Chahrour, responsable de la communication au Centre SKeyes de la Fondation Samir Kassir, cette campagne est menée par « l’armée électronique du Hezbollah », engagée « dans ce que l’on nomme une série d’“assassinats numériques”. Le but est de faire peur non seulement aux personnalités visées, mais aussi aux soutiens du parti, en leur laissant entendre que s’ils rejoignent le camp d’en face, voilà ce qui les attend », dit-il. En octobre 2021, il précisait à L’Orient-Le Jour à propos de la campagne diffamatoire en ligne contre le juge Tarek Bitar que « cette armée est constituée de faux comptes Twitter, de trolls (ces auteurs de provocations intentionnelles destinées à nuire ou à créer la controverse), de partisans ordinaires et de personnalités publiques influentes et populaires qui vont s’emparer d’un dossier que le Hezbollah veut faire échouer comme celui de l’enquête sur l’explosion au port » du 4 août 2020.


Un avant-goût de l’avenir

Dans le cas actuel, les personnalités ciblées sont accusées de « traîtrise » à la solde d’Israël, « ce qui est considéré comme un crime en droit libanais et ne doit donc pas être pris à la légère », prévient Jad Chahrour. Rami Naïm revient sur l’origine de la campagne le visant : « Après la mort des trois fillettes, j’ai écrit un tweet disant que le Hezbollah avait leur sang sur les mains car, en participant à la guerre à Gaza, il offre une justification à Israël pour commettre ses crimes au Liban », rappelle-t-il. Quelques minutes plus tard, ma photo avec l’étoile de David est apparue en ligne, suivie de nombreux messages du genre « Ton sang va couler car tu es un agent israélien ». Le journaliste, fervent critique du parti chiite, défend son droit d’exprimer son opposition au Hezbollah « sans devoir subir des menaces de mort. Or, pour les soutiens du Hezbollah, toute personne qui critique le parti actuellement est un criminel qu’il faut éliminer ».

Pourquoi une telle véhémence ? D’après Dima Sadek, le parti se retrouve « coincé » depuis le discours de son secrétaire général Hassan Nasrallah vendredi dernier : « Ils savent que son speech était décevant pour leur base et contradictoire avec ce qu’ils défendent depuis 20 ans. Donc ils ont besoin d’un bouc émissaire pour dévier l’attention du malaise interne grandissant. »


C’est aussi un avant-goût de la scène politique qui pourrait émerger après le conflit, avance Mohanad Hage Ali : « Le Hezbollah tente d’établir ce qui sera acceptable ou pas dans le discours politique quand la guerre sera finie, en resserrant dès à présent l’espace des libertés. C’est une sorte de teaser de ce qui pourrait advenir : un paysage politique où toute ONG soutenue par l’Occident ou toute voix critique du Hezbollah ne sera pas tolérée. »

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