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SKeyes Center for Media and Cultural Freedom - Samir Kassir Foundation

Au Liban, les establishments chrétien et musulman unis contre le film "Barbie"

Source France 24
Vendredi 11 août 2023

Celles et ceux qui ont vu le film de Greta Gerwig sont au courant : Barbie aspire à un monde où ne règnent que la paix et l’amour.


Au Liban pourtant, cette comédie américaine alimente les tensions. À l’affiche en Arabie saoudite, la candide héroïne incarnée par Margot Robbie pourrait être interdite des salles de cinéma libanaises.


Mercredi 9 août, Mohammad Mortada, ministre libanais de la Culture, a annoncé avoir demandé l'interdiction du film, invoquant une atteinte aux valeurs du pays.


Mais vendredi le comité chargé de censurer les films n’a trouvé aucune scène justifiant la non-diffusion du long-métrage, selon une information de MTV Lebanon News.

 

À ce stade, l'avenir de Barbie, qui a déjà passé la barre du milliard de dollars de recettes au box-office mondial, paraît incertain au Liban.


"Il n’a pas dû voir le film"

Incarné par un Ryan Gosling au meilleur de sa forme, le virilisme est moqué tout au long du film. Surtout, la comédie de Greta Gerwig imagine un monde dirigé par les femmes, inversant les rôles de la société patriarcale. L'histoire se conclut par un message égalitaire et post-genre : cessons de nous penser comme des "Ken" ou des "Barbie", embrassons les individus que nous sommes réellement.


Aucune scène ne fait de référence explicite à l’homosexualité. Mohammad Mortada, justifiant sa demande d’interdiction du film, fustigeait pourtant la promotion "de l'homosexualité et du changement de sexe".


"Il n’a pas dû voir le film", parie Ayman Mhanna, directeur exécutif de la Fondation Samir Kassir, association visant à "promouvoir la culture démocratique" au Liban et au Moyen-Orient. "Ces propos s’inscrivent dans le contexte d’une violente campagne homophobe lancée il y a quelques semaines par le chef du Hezbollah (parti d’obédience chiite, NDLR) Hassan Nasrallah. Auparavant, un mouvement du même type avait été promu par des groupes chrétiens extrémistes."

Depuis juin et le mois des fiertés, la place des homosexuels dans la société est source de violentes polémiques au sein des élites politiques libanaises.


En juillet, Hassan Nasrallah avait affirmé que, selon la loi islamique, tout homosexuel "devrait être tué" et avait appelé à boycotter tous les produits arc-en-ciel.


Les représentants des différentes communautés chrétiennes partagent largement ce rejet de l’homosexualité, celle-ci étant condamnée dans la Bible comme dans le Coran.


Sous la pression des dignitaires religieux, le pays a ainsi annulé à plusieurs reprises ces dernières années des activités de la communauté LGBT+.


L'an dernier, le long-métrage d'animation "Buzz l'Éclair", où apparaît un couple de lesbiennes, y avait été interdit.


"Motifs spirituels, manœuvres politiques"

En annonçant vouloir interdire la sortie de "Barbie", le ministre de la Culture a invoqué une réunion ministérielle informelle tenue mardi dans la résidence d’été du patriarche maronite, Béchara Raï.


"Les idées qui vont à l'encontre de l'ordre divin et des principes partagés par tous les Libanais doivent être combattues", avaient déclaré le prélat chrétien et le ministre (chiite) à l’issue de cette réunion.


Au Liban, les divisions politiques s'enracinent dans les affiliations confessionnelles. Le partage des postes clés selon les principales communautés religieuses se maintient depuis 1989, mais crée de fréquents blocages décisionnels.


Pourtant, "les autorités libanaises se mettent très volontiers d’accord quand il s’agit de partager des positions homophobes, ou plus généralement de s’opposer à toute loi civile concernant le mariage, l’héritage, la garde des enfants, le divorce", résume Ayman Mhanna.


Au sein de la société, les institutions religieuses servent de relais aux partis politiques. "Celles-ci sont très souvent instrumentalisées par les partis au pouvoir, qui invoquent des motifs spirituels pour maquiller des manœuvres purement et bassement politiques", explique Ayman Mhanna.


Une société plus ouverte que ses gouvernants ?

Comparée à la plupart des pays de la région, la société libanaise, multiconfessionnelle, se distingue par une relative ouverture sur le plan des mœurs. Prohibé dans la majeure partie du monde arabe, le film Marvel "Doctor Strange in the Multiverse of Madness" (2022), mettant en scène un couple de lesbiennes, a été projeté au pays du Cèdre. Festive, cosmopolite, en partie occidentalisée, la capitale libanaise est encore souvent surnommée le "Paris du Moyen-Orient".


Les partis représentés au Parlement reflètent cependant un certain conservatisme de la société, nuance Ayman Mhanna.

"Pour autant, je ne pense pas que les Libanais – y compris dans les franges les plus traditionnelles – aient un problème avec "Barbie". Ils ne sont pas mus aujourd'hui par des questions d’ordre moral, mais s’inquiètent de l’effondrement de l’économie, de la justice et de l’État libanais."


Fragilisé par une instabilité politique endémique, le pays fait face à la plus grave crise économique de son histoire, marquée l'hyperinflation, un effondrement de la monnaie et des restrictions bancaires. Les services de base, tels que l’eau et l'électricité, sont en déclin, exacerbant les tensions sociales.


L'explosion au port de Beyrouth en août 2020 s'est doublé d'un déficit de justice. Les preuves de négligence et de corruption impliquant les autorités n'ont jamais conduit à des poursuites significatives.

À l’aune de cette crise, les questions de mœurs permettent aux autorités de "faire diversion", conclut Ayman Mhanna. "Hier, on accusait les réfugiés. Aujourd’hui, on incrimine les homosexuels."

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