Au Liban, les journalistes sont une fois de plus dans la ligne de mire des autorités. Une ancienne mesure, qui remonte à l’époque de la tutelle syrienne, vient d’être réactivée. Les journalistes seraient tenus d’obtenir une autorisation préalable de la Direction de l’orientation de l’armée libanaise pour pouvoir mener et filmer des entretiens avec des citoyens sur tout le territoire libanais. Il y a quelques jours, cette mesure a été appliquée de manière arbitraire à quelques journalistes, ce qui laisse planer le doute sur l’intention des autorités à l’égard des médias, à l’heure où la crise économique bat son plein. Reste à savoir ce qu’il est possible de faire au juste. Peut-on par exemple filmer à Hamra ? Ou ça dépend du facteur chance ? Qu’en est-il des autres régions ?
Cette mesure a provoqué surprise et indignation au rang des journalistes, notamment après que deux agents des services de renseignement de l’armée en tenue civile ont interpellé une équipe de France 24 ainsi que la correspondante de Bloomberg Asharq, Maha Hoteit, le 6 juillet dernier à Hamra, leur demandant de se doter d’une autorisation pour pouvoir filmer dans le quartier.
« Il s’agit d’une ancienne mesure, appliquée à la presse locale et internationale depuis bien des années, suite à une décision du Conseil des ministres datant de 1998. Les correspondants et les journalistes sont au courant de cette procédure et demandent de temps en temps des permis de filmer. Elle est en vigueur sur l’ensemble du territoire libanais et les permis ne sont pas uniquement exigés pour pouvoir filmer à l’intérieur des camps de réfugiés, des postes de police ou des institutions militaires », rapporte une source militaire dans un entretien avec le centre SKeyes. « L’autorisation est délivrée au journaliste 10 heures après le dépôt de la demande et est valable pendant trois mois. La démarche est facilitée pour que tous les journalistes puissent obtenir les permis nécessaires ».
Cependant, cette décision a surpris nombre de journalistes qui travaillent pour des institutions médiatiques locales et internationales. Le formulaire à remplir pour obtenir une autorisation de filmer est publié sur le site de la Direction de l’orientation au commandement de l’armée. Il comprend les informations et les documents nécessaires, ainsi que le délai pour l’obtention du permis : un journaliste qui veut couvrir un événement donné devra attendre une semaine au moins pour avoir son autorisation. Cette mesure a été activée au moment où les libertés publiques et médiatiques connaissent un très grand déclin.
Dans un entretien accordé au Centre SKeyes, la correspondante de la chaîne Al-Hurra, Sahar Arnaout a dit : « Cette procédure est inacceptable et tout à fait illogique. Nous filmons dans toutes les régions sans autorisation préalable. Que ce soit à Hamra, à Bourj Hammoud, à Dora ou ailleurs. » Elle a également précisé que seul un permis mensuel leur était délivré par la Direction de l’orientation en tant que média international pour pouvoir filmer dans les camps de réfugiés ou les zones frontalières.
Quant au correspondant de Sky News, Salman Andary, il a affirmé à SKeyes qu’aucune demande n’était formulée pour filmer des entretiens avec les citoyens à Hamra ou ailleurs. « Chacun de nous dispose d’une carte de presse où on peut lire (Prière de faciliter la mission du journaliste X) sauf si nous nous trouvons à proximité d’un poste de police ou d’un camp de réfugiés. Nous avons été très surpris pas ce qui s’est passé avec les reporters Abboud et Hoteit dans le quartier de Hamra où les citoyens sont habitués à s’exprimer devant les caméras pour faire part de leur peine. Non seulement cette mesure réprime les droits, mais elle constitue également une atteinte flagrante à la liberté de la presse. Il semble que ça les dérange, toutes ces personnes qui expriment leurs opinions et leurs soucis. »
De son côté, le reporter de la chaîne Al-Jadeed Adam Chamseddine ne cache pas sa surprise : « Habituellement, Hamra et Achrafieh sont les deux seuls quartiers où nous, journalistes, pouvons mener, en toute liberté, des entretiens avec les citoyens. Nous nous transformons petit à petit en un État policier. »
Pour sa part, la correspondante de la chaîne Al-Arabiya, Ghinwa Yatim, a indiqué qu’elle s’est rendue à Hamra pour couvrir cet incident. « Nous nous sommes dirigés vers le quartier de Hamra au moment où nous avons su que nos collègues Abboud et Hoteit ont été interpellés par les services de renseignement. Nous y sommes restés deux heures environ. Personne n’est venu nous parler sachant que nous n’avions demandé aucune autorisation pour filmer. Nous n’avons l’habitude de le faire que pour les endroits où des permis sont exigés. »
Le Centre SKeyes a tenté, sans succès, d’entrer en contact avec la ministre de la Défense Zeina Acar pour obtenir sa réaction. Nous avons également contacté la ministre de l’Information Manal Abdel Samad qui a demandé un délai pour discuter des détails de l’affaire avec la ministre de la Défense. Le lendemain, le bureau de la ministre de l’Information nous a dit que « cette mesure avait été adoptée par le Conseil des ministres en 1998 et que tout journaliste désirant filmer sur le territoire libanais devait obtenir une autorisation fournie par le commandement de l’armée. » La ministre Abdel Samad nous a par la suite assuré qu’elle « ferait tout son possible pour révoquer cette mesure qui nuit à la liberté de la presse, au cours de la prochaine séance du Conseil des ministres », et qu’elle est actuellement « en négociation avec le commandement de l’armée pour résoudre ce problème. »
Le Centre SKeyes insiste sur la nécessité d’abolir cette pratique répressive et demande au pouvoir politique de mettre en place les mesures nécessaires pour garantir la stabilité et la sécurité tout en protégeant les droits de l’homme et les libertés publiques. Forcer les médias locaux et étrangers à se doter d’une autorisation avant de filmer :