Ils forment un échantillon assez représentatif de la scène culturelle libanaise. Dans sa diversité et ses contrastes. Pourtant, quel que soit leur background, ces acteurs et actrices du monde de l’art et de la culture au pays du Cèdre louent à l’unanimité les compétences et la crédibilité du nouveau ministre de la Culture. « L’Orient-Le Jour » a recueilli leurs réactions. Et leurs attentes.
« La nomination de Ghassan Salamé à la Culture démontre qu’après de nombreuses années, on accorde enfin à ce ministère au Liban l’importance qui lui est due », lance d’emblée la dramaturge, actrice, chercheuse et experte en management culturel Hanane Hajj Ali. « Certes, il avait déjà été aux commandes de ce ministère et son passage n’était pas passé inaperçu, notamment à travers l’ensemble des règles de fonctionnement qu’il y avait instaurées pour en restructurer le travail. Mais, aujourd’hui, du fait qu’il est resté longtemps loin du pays et loin de la réalité de ce ministère, je lui suggérerai de commencer par lancer une série de réunions avec les membres de la société civile et les acteurs du domaine culturel, pour récolter leurs avis sur les sujets essentiels que sont la censure, les caisses de soutien aux projets culturels, le statut de l’artiste, les taxations, etc. Cela dit, nous avons la conviction qu’il saura jouer un rôle majeur pour arrêter la chute libre de la culture au Liban. D’ailleurs, la qualité même de ses premières déclarations à la presse, au sujet notamment de son ambition à redonner place à la production intellectuelle et des connaissances, sont des prémices du niveau que l’on devrait attendre de ses actions dans ce domaine. »
De grandes espérances partagées par l’avocat et écrivain Alexandre Najjar, qui a eu l’occasion de collaborer sur certains dossiers avec Ghassan Salamé lorsqu’il était ministre de la Culture de 2000 à 2003. « J’ai toujours été frappé par sa grande capacité de travail, sa probité exemplaire et sa manière d’appréhender les choses de façon différente. Et je suis très heureux qu’il revienne à ce ministère où tout est à refaire. Un grand chantier l’attend, avec, hélas, des moyens dérisoires. Mais il a l’expérience, la vision, l’enthousiasme, la sagesse et les contacts nécessaires, notamment avec la France et les pays arabes, pour redresser la situation catastrophique dans laquelle se trouve actuellement le ministère... »
Même haute estime formulée par la présidente du Festival de Baalbeck et PDG du groupe L’Orient-Le Jour, Nayla de Freige. « Dès le moment où le nom de Ghassan Salamé commençait à circuler comme membre du gouvernement, aux Affaires Etrangères ou à la Culture, nous avons senti un soulagement. Ses compétences et sa notoriété envoyaient un signe très positif. Proche du Premier ministre Nawaf Salam, le tandem ne pouvait être que prometteur », relève-t-elle. « Lors de son précédent mandat à la Culture, entre 2000 et 2003, il avait fait un excellent travail, couronné par un sommet de la francophonie à Beyrouth en 2001, sachant mobiliser les jeunes et envoyer une image très positive d’un Liban qui sortait d’une longue guerre. Il est aussi l’un des fondateurs (et président du conseil d’administration) du Fonds arabe pour les arts et la culture (AFAC), cette association qui soutient les talents du Moyen-Orient. Ce rôle l’a sûrement gardé ouvert au monde de la création artistique et culturelle chez les jeunes du monde arabe et lui permettra d’en comprendre les besoins. Il lancera sûrement de grands chantiers de restructuration dans le domaine culturel, un domaine essentiel pour le vivre-ensemble, et saura probablement trouver les financements qui manquent, à l’heure où les ministères sont dépourvus de moyens. Il redonnera sûrement une image de confiance et saura remettre le Liban sur la scène internationale culturelle », assure Mme de Freige. Celle-ci signale, par ailleurs, que « l’équipe rédactionnelle de L’Orient-Le Jour s’est souvent rapprochée de Ghassan Salamé pour son expertise de la région, et pour les cent ans du journal, il a partagé des moments intimes de sa vie aux côtés de sa fille Léa, grande journaliste en France. Un bel échange inspirant entre deux générations. Et, au Festival de Baalbeck, nous avons des relations très étroites avec le ministère de la Culture, la Direction générale des antiquités, pour organiser un festival dans les temples romains, une grande responsabilité. J’espère que nous pourrons étudier ensemble un moyen de baisser certaines taxes qui pèsent lourd sur les budgets des festivals qui sont actuellement démunis de l’aide de l’État dont ils bénéficiaient avant la crise. Cela leur permettra de reprendre des activités culturelles ambitieuses, si la situation sécuritaire le permet ».
Idem pour la metteuse en scène et professeure associée de théâtre à la Lebanese American University (LAU) Lina Abyad : « Je mets beaucoup d’espoir dans ce gouvernement, et spécialement dans son ministère de la Culture. Nous sommes passés par un vide, un gouffre abyssal, avec le précédent. Ghassan Salamé, de par sa présence, sa culture, son histoire, sa vision et sa conscience du rôle que la culture peut avoir, est d’une haute crédibilité tant au niveau national et qu’international. Quand ce ministre de la Culture demandera des aides à l’international, il y aura une écoute, une réponse. Par ailleurs, s’agissant plus spécifiquement de théâtre au Liban, un domaine qui s’est beaucoup activé ces dernières années sur la seule base des initiatives privées, je pense qu’il est temps de refaire refonctionner le soutien de l’État. Et je compte beaucoup sur lui pour le faire. »
« L’homme qu’il faut à la place qu’il faut »
Pour la présidente du Festival de Beiteddine, Nora Joumblatt, « Ghassan Salamé est un ami. Nous avons déjà beaucoup travaillé ensemble lorsqu’il était précédemment ministre de la Culture. Il s’était révélé exceptionnel. Et nous avons hâte de retravailler avec lui. Nous avons beaucoup de chance de l’avoir de nouveau à ce poste, surtout en ce moment où il est très important de sauvegarder notre culture et notre identité. Nous avons beaucoup d’espoir en lui et beaucoup d’attentes aussi… Tout en sachant que ce ne sera pas simple, les choses ayant besoin de temps pour se reconstruire. Mais c’est un homme d’une grande créativité et d’une telle ouverture d’esprit qu’il saura instaurer de nouvelles bases de travail pour développer ce domaine essentiel pour nous Libanais qu’est la culture ».
Si elle émet, avant tout, le souhait que « Ghassan Salamé fasse regagner au ministère de la Culture un peu de dignité (…) Et redonne son importance au secteur culturel, banni du dictionnaire national pendant de longues années », la directrice du Beirut Spring Festival au sein de la Fondation Samir Kassir, Randa Asmar, se souvient que « lorsqu’il était à la tête de ce même ministère, Ghassan Salamé avait pris la peine et le temps de le structurer. Il avait entrepris aussi des initiatives qui ont porté haut la vie culturelle du Liban à l’échelle internationale. J’espère qu’il consolidera à nouveau ce ministère pour que tous les artistes et intellectuels concernés sentent qu’ils ont au moins une référence officielle sérieuse qui soutient leurs ambitions comme dans tous les pays civilisés. (…) J’espère aussi qu’il remettra sur pied le projet que le ministre Tarek Mitri avait mis en place avec le soutien financier du sultanat d’Oman : un bâtiment au centre-ville appartenant au secteur public et dédié à l’accueil d’événements culturels et artistiques. Le terrain était déjà acquis, sa conception architecturale réalisée. Il avait pourtant été enterré sans aucune explication. Finalement, j’espère que M. Salamé pourra instaurer une vraie réconciliation entre les acteurs culturels du pays et leur ministère. Il est temps que le ministère de la Culture ouvre les bras à nouveau au secteur privé qui a presque agonisé dernièrement ».
Même son de cloche chez Nidal el-Achkar, fondatrice et directrice du Théâtre al-Madina : « Ghassan Salamé est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Ce qui est extrêmement rare. Il pourrait d’ailleurs être à sa juste place quel que soit le ministère qu’il occuperait en raison de ses multiples compétences. Au ministère de la Culture, où il y a hélas beaucoup à faire, il saura très vite ce qu’il faut faire... J’aimerais cependant lui faire part d’un souhait que j’ai depuis longtemps et qui consiste à obtenir pour tous les théâtres au Liban une tarification à la baisse de l’électricité et des frais municipaux, car le théâtre est une entreprise culturelle et publique par excellence. Et à défaut de financement direct, une telle mesure nous aidera considérablement dans ces temps difficiles. »
« J’espère que ce nouveau mandat marquera une véritable volonté politique de protéger et de promouvoir la culture libanaise, plutôt que de la brider », formule pour sa part l’auteur, réalisateur et activiste Lucien Bourjeily. Et de rappeler que « s’il est crucial de revitaliser le soutien du ministère de la Culture au théâtre, au cinéma et aux arts en général, inexistant ces dernières années, au-delà du financement, la question de la censure demeure une priorité absolue. Le bureau de la censure, relevant de la Sûreté générale, exerce un contrôle préalable sur les films et les spectacles en se basant sur des critères vagues qui limitent la liberté d’expression. Ce système doit être entièrement réformé. Il est temps d’adopter un modèle fondé sur la classification par âge, géré par un comité civil indépendant lié au ministère de la Culture, plutôt que par des autorités sécuritaires ».
Du côté des institutions muséales, la directrice du musée Sursock, Karina el-Hélou, se déclare ravie de la nomination de Ghassan Salamé à la Culture. « C’est un dossier qu’il connaît bien et nous serons bien entendu à ses côtés. Car bien que la culture soit l’un des secteurs parmi les plus actifs et les plus prometteurs au Liban, nous avons besoin d’une vision d’ensemble, d’une synergie entre les différentes institutions. Nous espérons qu’il apportera son expertise dans ce domaine et qu’il remettra aussi en selle la Nuit des musées. »
Juliana Khalaf Salhab, codirectrice du Beirut Museum of Art (BeMA) qui abrite, notamment, la collection de peintures et sculptures du ministère de la Culture, attend pour sa part du nouveau ministre qu’il «sécurise un financement durable pour les institutions culturelles publiques du Liban, afin de préserver le patrimoine, créer des emplois, stimuler la croissance économique et repositionner le Liban sur la carte du tourisme culturel ». Et s’agissant plus particulièrement du BeMA, elle espère qu’il apportera son « soutien à la sauvegarde, la préservation et une plus grande visibilité de cette collection qui appartient au peuple et reste assez inaccessible au public jusque-là ».
Pour résumer, il semblerait que la galaxie culturelle au Liban soit à l’unanimité « heureuse et fière », pour reprendre les mots de la galeriste Nadine Begdache, d’avoir Ghassan Salamé comme ministre de la Culture. « C’est un homme de si grande culture qu’il est le seul capable de remettre à niveau le secteur culturel et artistique au Liban. Merci au président Joseph Aoun et à Son Excellence Nawaf Salam de nous avoir offert cet immense privilège ! » lance avec un enthousiasme non feint cette dernière.