« Par un massacre de journalistes. Voilà comment l'année 2023 s'est terminée ». C'est par ce constat glaçant que la Fondation Samir Kassir introduit son rapport annuel couvrant les violations à l’encontre des journalistes et des libertés, au Liban, en Palestine, en Jordanie et en Syrie, dans un contexte de guerre à Gaza et au Liban-Sud depuis octobre dernier.
Le rapport s'intitule cette année « Toutes les tempêtes à la fois (All storms at a time, en anglais) ». Toutes les tempêtes à la fois car l’année a été marquée par les « meurtres en série (serial killing) » de journalistes, mais aussi par des « défis à tous les niveaux » pour la liberté d'expression, la démocratie et le pluralisme. Ces violations n'ont pas débuté le 7 octobre, avec la guerre à Gaza, rappelle la fondation.
« Les questions globales entourant la surveillance technologique, la montée de la gouvernance autoritaire, le ciblage explicite des journalistes dans les zones de guerre et l'instrumentalisation du discours de haine pour cibler les communautés vulnérables suggèrent que nous sommes témoins d'un point culminant dans la distorsion des libertés humaines et de la société plurielle », prévient le rapport.
100 violations au Liban
Au Liban, où la fondation dénonce « l'exacerbation et la militarisation du discours haineux et de la désinformation », le rapport a enregistré 100 violations à l’encontre de journalistes, commises par l'armée israélienne (plus de 30% du total des violations, le chiffre le plus élevé), mais aussi les services de sécurité libanais, la justice, des partisans de partis politiques, ou encore de simples citoyens.
Parmi les violations, les tirs israéliens qui ont tué trois journalistes - Isssam Abdallah, vidéaste pour Reuters tué le 13 octobre ainsi que Farah Omar et Rabih Maamari, journaliste et caméraman pour al-Mayadeen tués le 21 novembre - au Liban-Sud. La fondation affirme qu'Israël cible « délibérément » les journalistes au Liban-Sud, se basant sur les témoignages de survivants ainsi que sur le travail d’institutions internationales comme Reporters sans frontière et Human Rights Watch. « Ce ciblage répété des journalistes indique clairement qu'Israël cherchait à dissimuler la vérité sur les violations du droit international qu'il commettait », continue le rapport.
A la tête des violations répertoriées, la fondation enregistre 27 cas d'agressions physiques ou de blessures, 15 menaces, ainsi que 14 convocations « devant des tribunaux et des unités de police non qualifiés ».
« Ces cas illustrent l'escalade de l'autoritarisme et la position de l'État contre la liberté de la presse au Liban », affirme l’étude, qui ajoute que ce ciblage généralisé du journalisme révèle « une répression systématique des voix dissidentes ».
La fondation épingle également les « accusations de trahison » formulée par le Hezbollah contre ses opposants ou encore l'« alarmisme » des autorités religieuses à l'égard des homosexuels au nom de la « protection des valeurs familiales ». Elle critique ensuite le ministre sortant de la Culture, Mohammad Mortada, estimant qu'il s'est « arrogé le rôle de la police des moeurs » dans le pays. M. Mortada s'en prend régulièrement à la communauté LGBTQ+.
Palestine, Syrie
En Palestine, 1130 violations ont été enregistrées, notamment 330 agressions physiques et blessures ainsi que 156 meurtres. Selon une enquête préliminaire du Comité pour la protection des journalistes, au moins 97 journalistes et travailleurs des médias ont été tués à ce jour en Territoires palestiniens depuis le début de la guerre le 7 octobre. « Jamais auparavant un tel nombre de journalistes n'avait été tué en si peu de temps », note le rapport.
En Syrie, un total de 43 violations ont été enregistrées - en majorité des arrestations (15) et des agressions physiques (13) mais aussi deux meurtres - principalement commises par les forces de l’opposition et les services de sécurité syrien. Les journalistes qui travaillent dans des territoires qui échappent toujours aux mains du régime Assad ont souvent été « victimes d'actions violentes perpétrées par les innombrables factions armées qui se disputent le contrôle du territoire », explique le rapport.
Plus globalement, la fondation met en garde contre une « vague montante de populisme » au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, estimant que ce facteur « pousse davantage de personnes à remettre en question les droits fondamentaux, les libertés et les normes démocratiques ».