Fill in your email address to obtain the download verification code.
Enter the verification code
Please fill the fields below, & share with us the article's link and/or upload it:
upload file as pdf, doc, docx
SKeyes Center for Media and Cultural Freedom - Samir Kassir Foundation

Madanyat s’engage contre la violence envers les femmes en politique

Jeudi 18 février 2021

La violence contre les femmes en politique, les Libanaises l’expérimentent au quotidien. Une femme politique ose-t-elle mettre le doigt sur un sujet épineux, que rapidement on l’accuse d’avoir obtenu son strapontin grâce à ses charmes ou, tout simplement, de délaisser sa famille. Une journaliste lance-t-elle un débat qui dérange, qu’on se moque vertement de son physique et de son franc-parler, sans oublier de lui adresser des menaces. Une activiste dénonce-t-elle une violation quelconque, qu’on met aussitôt en doute ses capacités intellectuelles, ses compétences, sa capacité à se trouver un mari aussi.

Les exemples sont légion dans un pays connu pour son machisme et son attachement aux valeurs patriarcales. En pleine séance parlementaire, au sein des partis, des familles politiques ou sur les réseaux sociaux, dès lors qu’une femme acquiert un tant soit peu de notoriété sur le plan politique ou envisage de se présenter aux élections, on rit d’elle, on la critique, on l’insulte. On l’accuse de vouloir diviser sa famille ou son clan. On n’hésite pas à la menacer. Avec pour objectif de l’intimider, de la pousser à lâcher prise. La députée Paula Yacoubian, la ministre Marie-Claude Najm, les journalistes Dima Sadek et Jessica Azar, et même notre consœur Scarlett Haddad en ont fait les frais, parmi tant d’autres.


Prévenir la violence contre les femmes en politique, plus particulièrement le harcèlement, l’intimidation et le cyber-harcèlement, est l’objectif de Sawtna, nouveau programme de l’association Madanyat fondée par l’activiste féministe Nada Saleh Anid. Un programme soutenu par la section des affaires culturelles de l’ambassade des États-Unis au Liban.

« Le nombre de filles et de femmes actives dans la vie publique est en augmentation au Liban. En l’absence de législation appropriée (la loi sur le harcèlement sexuel adoptée en décembre dernier comprend trop de failles), cela donne lieu à des violences sexistes », dénonce Mme Anid. « Cette violence prend plusieurs formes, psychologique, physique, sexuelle et même financière. Elle se traduit par des commentaires misogynes, par l’étalage public d’histoires personnelles, par des menaces de viol ou de mort, mais aussi par le veto de certaines familles ou de religieux contre des femmes candidates… », observe la militante. « Des armées électroniques sont sciemment mises à contribution, pour ce faire. Et même les médias jouent le jeu », déplore-t-elle.

Les intimidations, un moyen de décourager les femmes

À travers de courtes vidéos qui mettent en scène des figures féministes publiques, Sawtna entend d’abord sensibiliser la société libanaise au problème. Un problème récurrent dans un pays où le discours politique est partiellement violent, et pas seulement envers les femmes. « La violence fait malheureusement partie intégrante du travail politique. C’est un moyen de pression utilisé par les forces de fait accompli, lorsqu’elles se voient incapables d’imposer leurs opinions », souligne Ayman Mhanna, directeur exécutif de la Fondation Samir Kassir. L’ancienne ministre May Chidiac, connue pour son franc-parler, a elle-même réchappé à un attentat en 2005, qui la visait personnellement. « La violence politique envers les femmes a pour objectif de les intimider afin de les décourager d’avancer dans la vie politique. Parce que les femmes peuvent être un modèle pour certaines catégories marginalisées », explique-t-elle dans la vidéo. « Or la femme est courageuse, soutient Mme Chidiac. Quand elle décide de réussir, rien ne l’empêche de surmonter ces obstacles. » Les violences ont eu un impact important sur la carrière politique de Victoria Khoury el-Khazen, candidate malheureuse aux législatives de 2018. « Mon entourage et ma famille ont été touchés », confie-t-elle aussi. Mêmes conséquences pour Amani Beaïny, activiste, fervente militante contre le barrage de Bisri, qui a cherché, après avoir expérimenté la violence contre sa personne, à « mieux comprendre ses points faibles ». « Je sais qu’on cherche à freiner mes ambitions, à m’intimider en me disant que ce domaine n’est pas fait pour moi », dénonce pour sa part Halimé Kaakour, candidate malheureuse aux législatives de 2018. « Or cela ne fera que me renforcer dans ma détermination », soutient-elle. Rappelons qu’en 2018, Mme Kaakour avait déclaré tout haut « avoir été accusée de diviser sa famille, parce que c’était à son cousin de se présenter ».

Sauf qu’aujourd’hui, les femmes ne veulent plus se présenter en victimes. « Concentrez-vous sur le discours politique », lancent-elles à leurs détracteurs. C’est d’ailleurs ce que la députée démissionnaire Paula Yacoubian avait répondu à ceux qui cherchaient à la discréditer. « Mes organes génitaux ne regardent que moi », leur a-t-elle lancé. « Il est important d’identifier le meilleur moyen de réagir, propose Nada Anid. Car il est hors de question pour les femmes de se laisser décourager, ou de fondre en larmes à la première attaque. »

La politique, une affaire de méritocratie et non d’héritage

Prochaine étape donc pour le programme Sawtna, l’organisation de groupes mixtes de discussions et de sessions de formation pour répertorier les cas de violences et identifier les meilleures pratiques. Une mission confiée à Abir Chbaro, experte sur les questions du genre, et ancienne conseillère du Premier ministre Saad Hariri pour les affaires de la femme. « Nos hommes politiques multiplient les propos sexistes », déplore-t-elle, rappelant les propos publics du ministre de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, contre l’attribution de ce ministère à une femme, sous prétexte qu’il faut de la poigne. « Même les hommes de foi agitent le spectre de la violence contre la femme, pour la décourager de se présenter en politique », gronde-t-elle. Elle rappelle à ce propos le niet des cheikhs druzes de Hasbaya à la candidature d’une femme en 2018. « Ils ont prétendu que la participation des femmes en politique était un interdit religieux, empêchant ainsi le PSP (du leader Walid Joumblatt) d’en intégrer à leurs listes », révèle-t-elle. Mme Chbaro constate enfin « combien on coupe la parole aux femmes, dans la vie courante, pour montrer qu’elles ne sont pas qualifiées pour le job ». « Autant d’exemples de violences politiques à l’égard des Libanaises, qu’il faut identifier en tant que telles », insiste la militante. « En parler, décortiquer les cas et envisager la réponse permettront de faire la lumière sur la question et de sensibiliser les femmes et les hommes », assure-t-elle. Le but ultime étant de convaincre les Libanais que « la politique n’est pas une affaire de gènes ou d’héritage, mais bien de méritocratie ».

Share News