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SKeyes Center for Media and Cultural Freedom - Samir Kassir Foundation

Le pouvoir accusé de tirer profit du coronavirus pour intimider les protestataires

Samedi 21 mars 2020

Mercredi dernier, un défenseur des libertés publiques, Georges Azzi, membre actif du soulèvement populaire, était convoqué au tribunal militaire. Des membres de la Sécurité de l’État se sont invités à sa porte sans prévenir et sans même sonner à l’interphone, pour lui remettre un ordre de comparaître le lendemain devant le tribunal militaire, le jeudi 19 mars. Confiné chez lui comme tous les citoyens pour enrayer la propagation du coronavirus, le directeur exécutif de la Fondation arabe pour les libertés et l’égalité, connu pour son engagement en faveur des droits de la communauté LGBTQ+, ne les a pas autorisés à entrer. Il a juste réceptionné le mandat qui ne précisait pas la raison de la sommation.

En ces temps de mobilisation nationale et mondiale contre la pandémie, la mesure est pour le moins stupéfiante. Les réseaux sociaux se sont emparés de l’affaire, tournant en dérision les autorités qui invitent d’une part les citoyens au confinement et de l’autre convoquent un activiste devant un tribunal pour une opinion, dénonçant aussi un pouvoir qui profite de la crise la plus grave que travers le pays pour intimider ses opposants. La députée Paula Yacoubian n’a pas manqué de faire part de sa solidarité avec le jeune homme. Et les autorités ont tôt fait de reporter la convocation au 29 mars.

Une convocation jugée irresponsable

« Je suis particulièrement actif sur les réseaux sociaux. Je ne me prive pas de critiquer le ministre Gebran Bassil et le Hezbollah, mais je n’ai jamais porté atteinte à l’armée libanaise. Alors franchement, je ne sais pas de quoi on m’accuse », dit Georges Azzi à L’Orient-Le Jour. Il est vrai qu’il y a environ deux mois, le jeune homme avait organisé un vote sur la perception de la corruption au sein des services sécuritaires. « Les internautes avaient voté et la Sécurité de l’État l’avait remporté, haut la main », se rappelle-t-il. Mais cette convocation « irresponsable vu les risques de transmission » sonne pour lui comme « une volonté malveillante du pouvoir de profiter de la confusion créée par le coronavirus pour poursuivre les personnes critiques ». « Le tribunal militaire, c’est effrayant, lance-t-il. Je n’ai tué personne, n’ai causé de tort à personne. Et c’est moi qu’on poursuit pour me faire taire, alors qu’on vient de laisser filer un collaborateur » avec Israël, en allusion à l’ancien tortionnaire de la prison de Khiam, Amer Fakhoury, libéré par le tribunal militaire et désormais aux États-Unis.

La convocation du militant inquiète. Parce qu’en ces temps de crise, d’autres représentants de la révolution du 17 octobre sont aussi poursuivis. D’abord, le Dr Hadi Mrad qui s’est vu privé d’exercer la médecine pour avoir critiqué la gestion par le ministère de la Santé de la crise du coronavirus. Et puis les deux journalistes Hassan Moukalled et Joséphine Dib, contre lesquels la procureure générale du Mont-Liban, Ghada Aoun, a engagé des poursuites pour diffamation, pour avoir accusé le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, et le député du même parti, Waël Bou Faour, d’avoir effectué des transferts de fonds à l’étranger, en cette période de restrictions bancaires.

Mais la procureure se défend d’avoir pris une décision inappropriée sur ce dernier dossier ou même d’avoir ciblé les journalistes. Contactée par L’OLJ, elle affirme avoir « l’obligation de faire avancer tous les dossiers, sans sélectivité ». « J’ai donné aux journalistes l’opportunité d’apporter les preuves de leurs accusations. Mais ils ne m’ont jamais fourni ces preuves », regrette-t-elle. Ghada Aoun explique qu’elle aurait alors pu transférer le dossier au juge unique. « J’ai préféré le transférer au tribunal des imprimés, vu qu’il s’agit de journalistes », précise-t-elle. Sauf que la justice est montrée du doigt par les contestataires qui dénoncent son manque d’indépendance et l’interdiction de s’attaquer à la corruption.

Bou Faour vs Haraké

C’est dans ce cadre que refait surface le procès intenté par l’ancien ministre de la Santé, Waël Bou Faour, contre l’avocat contestataire Wassef el-Haraké. L’affaire remonte à deux mois. « Wassef el-Haraké m’a accusé d’avoir envoyé en Syrie des médicaments destinés aux Libanais atteints de cancer, et d’avoir privé de traitement les patients libanais, explique à L’OLJ le député du PSP. J’ai donc porté plainte contre lui parce que ces accusations sont fausses ». Mais vu que le militant est avocat, il était nécessaire au préalable que l’ordre des avocats autorise les poursuites, s’il s’avère que le motif n’est pas lié à l’exercice de sa profession. Le 18 mars, l’ordre des avocats de Beyrouth a donc autorisé les poursuites contre Me Haraké, mais uniquement celles pour diffamation, tout en précisant qu’il ne s’agit en aucun cas d’une condamnation de l’avocat, et mettant en garde contre toute tentative de tirer profit de l’affaire. « Cela nous permettra d’aller en justice », souligne M. Bou Faour, qui se dit satisfait. « S’il s’avère que Wassef el-Haraké a raison, je m’engage à démissionner du PSP et de mon mandat de député, et à quitter aussi la politique », promet-il. « Mais s’il a tort, il devra s’excuser». La version de Me Haraké est différente. « Je n’ai pas accusé l’ancien ministre Bou Faour de quoi que ce soit. C’était lors d’une émission télévisée. J’ai rapporté une accusation lancée par une tierce personne. Et le ministre en a profité pour lancer une bataille contre moi.» Mais pourquoi tant d’acharnement contre l’activiste qui est une des figures émergentes de la révolte populaire et de la crise des déchets, en 2015 ? « J’ai présenté trois actions en justice en 2016 contre toutes les violations qui ont entaché l’action des ministères successifs de la Santé, l’une auprès du parquet financier, l’autre auprès de la Cour des comptes, la troisième auprès de l’Inspection centrale », répond l’avocat qui milite au sein de l’Observatoire de lutte contre la corruption. « Le pouvoir et tout le système qui le protège sont engagés dans une même bataille contre ceux qui combattent la corruption », assure-t-il.

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