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SKeyes Center for Media and Cultural Freedom - Samir Kassir Foundation

Rana Khoury : le théâtre, sa mère et les enjeux sociétaux

Lundi 24 mars 2025

D’abord, l’histoire personnelle de Rana Khoury. Celle d’un virage de parcours survenu en 2020 dans la foulée de l’explosion au port de Beyrouth, de laquelle aura miraculeusement réchappé son petit garçon. Traumatisée, elle décide de quitter le Liban pour s’installer avec son fils à Paris. C’est là que, partie inscrire son petit de 4 ans au Cours Florent Jeunesse, elle tombe sur l’annonce de l’ouverture des auditions pour les étudiants de première année. La jeune femme, passionnée de théâtre depuis toujours et qui s’y destinait avant que les événements de 2005 ne bousculent ses plans*, ne résiste pas à l’envie de tenter à nouveau sa chance. Admise, la publicitaire se retrouve à 37 ans, et après 16 ans de direction de création dans l’agence beyrouthine de Leo Burnett, sur les bancs de la fameuse école d'art dramatique parisienne. « Ça n’a pas été facile tous les jours. Je devais travailler en parallèle, m’occuper de mon enfant et accepter, que dans les pièces de l’école, on me donne systématiquement les rôles de mères face aux autres étudiants », résume, avec humour, celle qui a concrétisé à quarante ans son vieux rêve de monter sur les planches.


Aujourd’hui, devenue officiellement comédienne, metteuse en scène et membre de la compagnie parisienne Les Flâneuses, la jeune femme se balade désormais de salles parisiennes (le théâtre Clavel le 25 mars) en festival de théâtre, le Off d’Avignon en 2024 où elle a présenté, notamment, Contractions une pièce de l’auteur britannique Mike Bartlett dont elle a signé la mise en scène.


Lorsqu’on lui fait remarquer qu’elle est l’incarnation de la phrase : « Il ne faut jamais renoncer à ses rêves », Rana Khoury marque un temps de silence avant de répliquer, la voix nouée par l’émotion : « Je suis l’incarnation de l’éducation de ma mère. Elle était l’exemple même de la personne qui se renouvelait tout le temps, qui n’avait pas peur de se lancer dans de nouveaux défis. ».


Profondément la fille de sa mère

Elle a beau avoir changé de vie, de profession et de pays, Rana Khoury reste profondément la fille de… Gisèle Khoury, la célèbre journaliste politique prématurément disparue il y a deux ans des suites d’un cancer. À l’image de cette mère iconique, la comédienne et metteuse en scène libanaise cultive une fibre militante et un intérêt marqué pour les grands débats de société.

En témoignent les pièces qu’elle a mises en scène dernièrement, qui se caractérisent par une forte dimension sociale. Qu’il s’agisse de l’épineux thème de la procréation médicalement assistée dans Si c’est une fille on l’appellera Violette de Charlotte Braquet, ou celui du pouvoir écrasant et de plus en plus intrusif de l'entreprise dans la vie de ses salariés que soulève Mike Bartlett dans Contractions, le choix théâtral de l'ex-publicitaire aborde systématiquement des sujets sensibles.


Un registre engagé qui n’exclut pas la dérision. À l’instar de cet humour noir et cynique qui se déploie, justement, dans Contractions** qu’elle vient présenter à Beyrouth, les 31 mars et 1er avril au théâtre Le Monnot, dans l’objectif de soutenir le Beirut Spring Festival de la Fondation Samir Kassir, auquel ira la totalité des recettes des deux soirées.


« Ce festival du printemps de Beyrouth que ma mère et ses cofondateurs avaient instauré dans une optique de construction d’une culture démocratisée au sein de la capitale doit rester sa colonne vertébrale, un espace où l’art et la création sortent des cloisonnements élitistes et tissent une conversation accessible à tous », rappelle la jeune femme à l’évidente « sensibilité de gauche ».

Jusqu’où peut aller le pouvoir de l’entreprise sur ses salariés ?

Pour celle qui « refuse l’inégalité, l’injustice, le racisme, le chauvinisme, et rêve encore à 41 ans, d’une société en harmonie, il y a dans notre monde contemporain une disparité énorme entre les individus. Un espace qui se creuse encore plus, entre les Trump, Musk et compagnie, et tous les autres qui s’écrasent confrontés aux menaces de crises et de chômage », s’indigne-t-elle. « Ce sont ces rapports de domination et de fragilité que dépeint parfaitement le dramaturge anglais dans Contractions. Dès que j’ai lu ce texte que m’ont fait découvrir Mélanie Bouexière et Élara Le Floch, mes amies du Cours Florent et partenaires de la compagnie Les flâneuses, j’étais partante pour sa mise en scène. Car cette pièce construite sur un face-à-face entre deux femmes, l’une manager de l’entreprise et l'autre employée (interprétées par les deux comédiennes précitées), interroge puissamment les limites de l’intrusion de l’employeur dans la vie intime de ses salariés, et jusqu’où ces derniers sont prêts à faire des concessions pour conserver leur emploi. »

 

Un sujet universel et de plus en plus prégnant, « même si au regard des énormes problèmes de survie qu’affrontent les Libanais, il peut paraître secondaire », fait remarquer la metteure en scène. Laquelle, un peu inquiète de sa réception par le public du Monnot, avoue ressentir le besoin de se tourner vers l’écriture théâtrale, « pour mettre en récit une dimension plus adaptée à notre vision du monde. À cette réalité qui nous est propre et qui, tout autant qu’ailleurs, est habitée par la politique qui interfère dans tous les aspects de notre vie », confie en conclusion Rana Khoury.

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