Quel sera le futur des médias alternatifs nés de la révolution syrienne ? C'est l'une des nombreuses questions qui ont suscité un débat lors d'une conférence organisée le week-end dernier par SKeyes. Durant près de sept heures, experts internationaux et journalistes syriens ont évoqué nombre d'observations et de recommandations afin de pérenniser ce secteur, primordial pour la liberté d'expression.
Inaugurant cette journée riche en réflexions, Gisèle Khoury, veuve de Samir Kassir, a ouvert le séminaire en soulignant que « cette conférence est une leçon pour les médias du monde arabe, où le professionnalisme et l'authenticité devraient prévaloir ».
Le directeur de la fondation, Ayman Mhanna, a ensuite présenté les résultats d'une étude réalisée par SKeyes et la Fondation Friedrich-Naumann pour la liberté (FNF). M. Mhanna a d'abord énuméré les 17 médias sélectionnés et analysés, en citant notamment al-Jumhuriya, Qasioun Agency, Shaam Network, Zaman al-Wasl et Souriatna. L'étude en question révèle des résultats plutôt encourageants. « Tout d'abord, nous pouvons constater que la plupart des médias parlent des Syriens et de leurs problèmes, en utilisant des expressions qui révèlent un souhait de justice pour les victimes de la guerre », explique-t-il.
De cette étude ressort également une volonté affichée par ces médias d'effectuer un journalisme d'investigation. « Les Syriens veulent-ils de nouveaux journaux relatant les brèves, ou plutôt des articles de fond traitant les sujets délicats ? » s'est interrogé M. Mhanna. Le rapport indique également que les donateurs (les États-Unis, l'Union européenne et la Suède, principalement) font preuve de peu d'implication vis-à-vis de la ligne éditoriale, en comold_paraison avec les 47 années vécues sous le joug de la dictature, selon Rami Ruhayem, journaliste de la BBC.
Plébiscites et recommandations
En ce qui concerne les données chiffrées, l'étude démontre que 76 % des sources utilisées émanent du terrain, notamment d'activistes (29 %) et de responsables militaires (19 %). En outre, 76 % des articles relatent des brèves d'actualité, tandis que les articles d'opinion représentent 8 % de la production totale. Au niveau des thèmes abordés, un point noir est relevé : l'absence de couverture de la problématique des réfugiés, dans 91 % des cas, alors que bon nombre de ces journalistes sont eux-mêmes en exil. Le point positif concerne le vocabulaire utilisé. « Dans leur grande majorité, ces médias emploient un langage soutenu, bannissant les discours de haine et le communautarisme. Cela tend à les rapprocher des standards journalistiques internationaux », relève Ayman Mhanna.
Après une première phase d'effervescence pour les médias syriens alternatifs (atteignant le chiffre record de 300 médias créés jusqu'en 2015), la situation s'est peu à peu dégradée. Les priorités des donateurs ont changé, accordant la priorité à la lutte contre l'extrémisme de Daech, aux dépens des engagements pris pour soutenir financièrement ces balbutiements démocratiques, selon le rapport. Par conséquent, les nouveaux médias ont fait face à certaines difficultés financières, couplées à un accroissement de l'exil de leurs journalistes présents sur le terrain.
L'activisme
Donnant la parole à ces nouveaux acteurs, ceux-ci ont récapitulé leurs trajectoires. Jawad Charbaji, du journal Enab Baladi, a commencé à travailler à Daraya, une banlieue de Damas pilonnée par l'aviation du régime. « Le principal tournant s'est opéré en 2013, lorsque nous avons commencé à travailler en tant que professionnels, au sein de ce nouveau paysage médiatique devenu une véritable industrie », souligne-t-il.
Réfutant l'étiquette « d'activistes » collée par un contradicteur de l'audience, le journaliste Khaled Khalil de Souriatna a taclé cette accusation en répondant que « ce qu'on appelait journalisme en Syrie n'avait rien à voir avec le journalisme. Nous étions les porte-voix du régime, rien de plus, sans refléter l'opinion de la société. Aujourd'hui, nos productions médiatiques reflètent au mieux le peuple syrien ».
Enfin, lors de ce débat, une question essentielle (restée sans réponse) a émergé de la part de l'audience. Comment ces nouveaux médias pourront-ils subsister et contrer le narratif matraqué par les médias du régime ?
Avenir incertain
En marge de la conférence, Soazig Dollet, consultante pour l'Agence française de coopération média (CFI), a affiché un pessimisme à peine masqué. Interrogée par L'Orient-Le Jour, elle a estimé que « ces nouveaux médias ont conscience des enjeux actuels et sont hyperpragmatiques. L'euphorie de 2012 est passée, l'argent ne coule plus à flots et les formations se sont taries. La plupart des journalistes en exil ne pourront pas rentrer en Syrie. Que va-t-il advenir de ces médias ? Beaucoup vont disold_paraître. Je reste sceptique quant au pluralisme souhaité, les médias du régime s'étant renforcés ces derniers temps, en capitalisant sur les victoires d'Assad ».
Sanctuariser la liberté d'expression et garantir l'existence de ces médias étaient cependant les dénominateurs communs soulevés par l'ensemble des intervenants. Cette conférence aura permis de baliser, sans idéalisme, la réalité et les enjeux du nouveau champ médiatique syrien.
Pour autant, à travers le monde, la liberté de la presse n'a jamais été aussi menacée, constate Reporters sans frontières dans son dernier rapport. La répression organisée par les régimes autoritaires et les exactions de groupes terroristes sont monnaie courante. Dès lors, la persistance du régime sonnera-t-elle le glas de l'expérience démocratique des nouveaux médias syriens ?