L’agression d’un jeune militant par une quinzaine d’individus affiliés au mouvement Amal, dans la nuit de vendredi à samedi, à Kfar Remmane (Sud), a relancé le débat sur les agissements partisans violents à l’encontre de ceux qui remettent en cause la classe politique, dans cette région où le duopole chiite est influent. Bachir Abou Zeid, réalisateur de cinéma de 28 ans et militant de la première heure, s’est attiré les foudres de certains partisans d’Amal après avoir critiqué sur les réseaux sociaux le président du Parlement et leader du mouvement chiite, Nabih Berry. « Éteignez les lumières devant le domicile de Nabih Berry et allumez-les dans les maisons des gens », a écrit Bachir Abou Zeid jeudi sur Facebook, dans une allusion à la sévérité du rationnement du courant électrique dernièrement.
« J’ai commencé à recevoir des menaces provenant de faux comptes sur Facebook dès la publication de la photo », raconte le jeune homme, qui n’est autre que le fondateur du mensuel 17 octobre, une publication qui suivait de près le mouvement de contestation et qui était distribuée lors des manifestations. « Vendredi soir, je roulais en voiture, lorsque j’ai été appréhendé par deux véhicules qui ont essayé de me bloquer le chemin. J’ai réussi à leur échapper, mais un autre véhicule m’attendait au rond-point de Kfar Remmane. J’ai alors appelé les amis chez qui je me rendais. Ils ont accouru à la rescousse », souligne Bachir à L’Orient-Le Jour.
L’agression a eu lieu dans la localité de Kfar Remmane, connue sous le nom de « Kfar Moscou », en raison de la sympathie affichée par un grand nombre de ses habitants pour le Parti communiste, alors que la région est dominée par Amal et le Hezbollah. Les habitants de Kfar Remmane ont massivement pris part aux manifestations antipouvoir ces derniers mois.
« Le premier homme à m’avoir agressé s’est présenté comme étant le responsable militaire du mouvement Amal à Kfar Remmane. Les autres m’ont ensuite frappé en me disant que je n’étais pas autorisé à critiquer le président du Parlement. Je leur ai dit que la Constitution garantit la liberté d’expression et que je continuerai à écrire ce que je voulais, ils m’ont alors frappé de plus belle. Pour moi, les gens ont le droit de dire ce qu’ils veulent, et si on a quelque chose à leur reprocher, on peut saisir la justice », ajoute Bachir Abou Zeid. « Leur but était de m’embarquer dans une des voitures, mais lorsque leur présence a attiré du monde, ils n’ont plus osé le faire », poursuit le militant.
Difficile de se révolter
Le jeune homme a ensuite porté plainte au commissariat de Nabatiyé, mais il affirme qu’aucun de ses agresseurs ne s’est présenté au commissariat pour l’instant. « C’est difficile pour les personnes vivant dans le Sud d’appeler à la mise en place d’un État laïc ou de se révolter, étant donné qu’un grand nombre des habitants de la région sont favorables au pouvoir en place », lance-t-il. « Ici, les gens se posent des questions avant de manifester. Ils ont peur des réactions de leur entourage, d’être accusés de collaborer avec Israël par exemple ou d’être agressés. Mais je pense que les gens vont quand même manifester à nouveau car plus rien ne va », souligne Bachir Abou Zeid.
À Nabatiyé, à Kfar Remmane ou à Tyr, centres névralgiques de la contestation dans le sud du pays, des partisans du Hezbollah et d’Amal ont agressé les manifestants antipouvoir et brûlé leurs installations à plusieurs reprises au cours des derniers mois.
Pour sa part, le journaliste Imad Komaïha explique à L’OLJ que « les manifestants sont soumis à beaucoup de pressions dans le sud du pays ». « Dans les villages, on dépêche souvent un frère ou un oncle, pour tenter de les raisonner. Ils sont également menacés sur les réseaux sociaux. Concernant les militants qui ont des commerces dans la région, les gens ont tendance à les éviter », déplore le journaliste.
Imad Komeïha rapporte qu’un enseignant dans un lycée technique du Sud a vu ses cours suspendus dernièrement, en raison de sa proximité avec les manifestants antipouvoir. « Si on soupçonne une personne gravitant dans l’orbite du tandem chiite d’avoir pris part aux contestations, elle est passible de recevoir un avertissement officiel. Si cette personne travaille dans une structure partisane, elle risque de perdre son emploi », précise-t-il.