Huit ans déjà depuis l’assassinat du journaliste et
écrivain Samir Kassir. Huit ans aussi que sa pensée continue de germer, d’abord
à travers la fondation qui porte son nom, qui organise notamment le festival
annuel du printemps de Beyrouth, devenu une tribune de la culture ; ensuite
grâce au centre SKEyes pour les libertés médiatiques et culturelles. Engin,
grâce au Prix Samir Kassir pour la liberté de la presse, décerné par l’Union
européenne, en collaboration avec la fondation, dont la 8e édition se déroulait
hier, épousant le décor vert de la villa Sursock.
Depuis que les effluves du printemps de Beyrouth ont ranimé les esprits en
2005, la lutte pour la démocratie et la pensée libre s’élargit dans le monde
arabe. Mais au fur et à mesure que se renforce la lutte, les entraves se
multiplient, qui tentent de la dénaturer, en obstruant la vérité. La présidente
de la Fondation Samir Kassir, Gisèle Khoury, a mis l’accent sur
« l’affront de la douleur avec la mémoire de la douleur »,
c’est-à-dire la capacité des peuples arabes à « puiser dans le parcours
des martyrs, le patrimoine du mot écrit à l’encre de la liberté et du
sang », afin de rayer le risque de perdre leurs révolutions.
Jeune journaliste palestino-syrienne, vivant aujourd’hui
au Liban, Doha Hassan a remporté le prix dans la catégorie de l’article
d’opinion. Elle a décrit, dans un article publié en arabe (« La jeunesse
militarisée ») sur le site d’information NowLebanon, le 23 janvier 2013,
l’endoctrinement pratiqué par le parti Baas sur les enfants dans les écoles. Un
endoctrinement qu’elle a elle-même subi, et qu’elle est parvenue à surmonter, à
déraciner et à écrire, « afin que les gens n’oublient pas la raison d’être
première de la révolution syrienne », a-t-elle expliqué.
Pour la catégorie de l’article d’investigation, c’est Ahmad Abou Deraa,
journaliste égyptien, qui a été récompensé pour un article qui a mis la lumière
sur une région occultée par les médias, l’Afrique, et surtout sur des pratiques
destructrices pour l’humanité, mais qui restent méconnues : « Les
gangs de trafic africain font du Sinaï un territoire de torture. » Il
relate le périple d’Africaines vendues, revendues et torturées, alors qu’elles
tentaient de se trouver une meilleure vie en Égypte.
Enfin, le prix pour la catégorie « reportage audiovisuel » a été
décerné à une jeune journaliste libanaise de 22 ans, Luna Safwan, pour son
reportage sur « La vie quotidienne des réfugiés syriens à Ersal »,
diffusé sur Orient TV. Elle explique à L’OLJ qu’elle a voulu suivre et écouter
une journée durant la lassitude et le traumatisme des enfants syriens au Liban.
« Ce prix me poussera à prendre encore plus de risques »,
affirme-t-elle avec un regard animé d’espoir pour le pays.
Huit ans après la création du prix Samir Kassir, 1 200 articles d’opinion
et d’investigation ont été soumis par des journalistes du monde arabe, autant
de voix souveraines, d’angles de vue audacieux, de pressions ressenties et
surmontées, qui alimentent des lignes teintées de souffrances. Cette année, 162
travaux ont été soumis pour les deux catégories d’articles d’opinion et
d’investigation, et pour la troisième catégorie créée cette année pour les
documentaires audiovisuels. « Chaque article et vidéo est porteur d’une
tragédie. Le monde arabe est fatigué, torturé, écorché », affirme à
L’Orient -Le Jour Shirine Abdallah, ancienne responsable de la communication du
journaliste assassiné Gebran Tuéni et membre du jury du prix Samir Kassir pour
cette année. « Mais ces tragédies rapportées prouvent la rage des
journalistes de vouloir changer les choses », ajoute-t-elle. Pour Diana
Mokalled, rédactrice en chef web de la Future TV, et également membre du jury,
l’édition cette année aura prouvé « un grand professionnalisme à un jeune
âge ».
La chef de la Délégation de l’Union européenne, l’ambassadrice Angelina
Eichhorst, a d’ailleurs fait remarquer dans son allocution que « cette
année, la participation a été plus vigoureuse et plus jeune : 70 %
des finalistes sont des femmes et 60 % ont moins de 30 ans ». Elle a
valorisé par ailleurs le choix du jury, « incarnant parfaitement le
partenariat euro-méditerranéen ». Ainsi, Philippe Dessaint, directeur des
événements internationaux à TV5 Monde et membre du jury cette année, exprime la
vision d’un « journaliste de l’extérieur » par rapport aux médias en
région arabe, « qui transmettent une formidable complexité, liée notamment
à l’engagement qui old_paraît indissociable du travail journalistique ».
Le jury a compté, en plus des trois noms précités, le journaliste du plus grand
quotidien anglophone du Golfe Arab News, Ghazanfar Ali Khan ; Géraldine
Coughlan, journaliste spécialisée en justice internationale ; Sami Mobayed,
chercheur invité au Carnegie Center, chercheur dans les affaires syriennes ;
Samia Nakhoul, éditrice de l’agence Thomson Reuters au Moyen-Orient.