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SKeyes Center for Media and Cultural Freedom - Samir Kassir Foundation

À Gaza, un huis clos informationnel d’une ampleur et d’une durée inédites

Mardi 07 octobre 2025
Illustration : Anne Derenne

À la suite des attaques du Hamas le 7 octobre 2023 — et après le début de la réplique israélienne — seuls les journalistes palestiniens peuvent rapporter ce qu’ils voient et entendent au cœur de la bande de Gaza. Les journalistes venus de l’extérieur sont empêchés d’entrer. Contactée, l’ambassade d’Israël à Paris évoque une décision prise par l’armée, visant à « éviter que des journalistes ne soient utilisés par le Hamas comme boucliers humains ou mis en danger ». Reporters sans frontières appelle de son côté à « l’accès immédiat et indépendant de la presse internationale » à Gaza et dénonce « l’ampleur et la durée de l’interdiction » d’entrer dans l’enclave. Celles-ci sont en effet inédites.


Depuis l’apparition des correspondants de guerre lors de la guerre de Crimée — expédition franco-britannique contre l’empire Russe en 1853 — les belligérants (étatiques ou non) ont très souvent tenté de contrôler leurs allées et venues. À tel point que la liberté des reporters lors de la guerre du Vietnam — ils pouvaient accéder à la ligne de front sans contrôle — fait figure d’exception dans l’histoire de la profession, analyse Adrien Jaulmes dans son livre 
Raconter la Guerre (éditions des Équateurs, 2021).


Une durée de fermeture exceptionnelle

Correspondant aux États-Unis pour Le Figaro, ancien correspondant du journal en Israël, le journaliste a couvert de multiples conflits dans sa carrière. À propos de celui en cours à Gaza, il est catégorique : la durée de fermeture de la zone aux journalistes internationaux est exceptionnelle ; mais pas la fermeture en tant que telle. « À chaque conflit à Gaza, Israël ferme l’entrée des journalistes à Gaza, explique-t-il, mais jamais pour une période aussi longue. » Avant le 7-Octobre, les journalistes pouvaient entrer dans Gaza… à condition d’obtenir un pass auprès du GPO (Government Press Office, Bureau gouvernemental israélien de la presse), basé à Jérusalem.

D’autres terrains de guerre ont connu des huis clos informationnels, plus ou moins longs. De quelques jours à quelques semaines, dans le cas des opérations américaines dans l’île de Grenade et à Panama en 1983 et 1989, suscitant de vives protestations de la presse américaine qui s'était habituée à la liberté accordée à ses correspondants au Vietnam. Plusieurs années pour l’Union soviétique durant son invasion de l’Afghanistan entre 1979 et 1989 — des équipes de journalistes parviennent tout de même à entrer via le Pakistan voisin.


Même chose pendant la guerre civile syrienne (2011-2024). Le régime de Bachar el-Assad « 
n’autorisait pas l’entrée des journalistes sur le territoire, et surtout pas aux zones de rébellion, raconte Claude Guibal, grand reporter à la rédaction internationale de Radio France, spécialiste des zones de conflit. Je suis entrée clandestinement par la Turquie, comme beaucoup de journalistes, pour accéder aux informations que l’on essayait de nous cacher. »


Missions humanitaires

Des actions difficiles à envisager dans le cas de la bande de Gaza, enclave quasi hermétique : de taille réduite (365 km2), gardée en permanence par les forces armées israéliennes. Depuis le 7-Octobre, Clarissa Ward, journaliste de CNN, est la seule journaliste extérieure à avoir contourné l’interdiction israélienne. Elle y a pénétré le 12 décembre 2023, dans le cadre d’un convoi humanitaire qu’elle accompagnait avec l’autorisation des Émirats arabes unis ; sans possibilité de s’écarter de l’escorte ; pour un temps limité.


Pas inhabituel que des journalistes accompagnent des missions humanitaires : Dorothée Olliéric s’est rendue avec son cameraman au Yémen en 2015 pour France 2 avec l’aide de Médecins sans frontières. Le pays est alors, déjà, en proie à la guerre civile qui l’agite encore aujourd’hui. « 
Ils voulaient un témoignage de ce qui se passait sur place et ont pris le risque de nous emmener », explique la journaliste.


Un risque pris à l'époque, de façon exceptionnelle. Tout à fait impensable aujourd'hui. lncorporer des journalistes à une mission humanitaire pourrait la « mettre en péril », nous indique MSF : les listes de personnel sont transmises aux autorités israéliennes et scrutées. Inenvisageable de dissimuler la présence d’un journaliste, par crainte d’une possible « rupture de confiance avec les autorités ».


Opter pour l'« embed »

Par ailleurs, les rotations très contraintes sur le terrain à Gaza, le nombre limité de places, poussent MSF à « privilégier les professions et les profils, médicaux et logistiques, indispensables aux hôpitaux de campagne ». Jean-Pierre Filiu, historien et arabisant, a pu entrer dans l’enclave et y rester un mois en décembre 2024 dans le cadre d’une mission de « prospective et d’analyse de contexte » pour l’ONG. Cette dernière confirme néanmoins que, régulièrement, des journalistes « du Washington Post au Monde en passant par TF1 » font des demandes. Moins aujourd’hui cependant qu’au début de la riposte israélienne.

En réalité, il existe bien une solution pour accéder à la bande de Gaza en tant que journaliste extérieur à la zone : être embedded. La pratique consiste à embarquer le journaliste dans une unité de l’armée. Selon les belligérants, les zones, les moments et les conflits, les marges de manœuvre des journalistes peuvent être plus ou moins larges. À Gaza, « les conditions des embed sont très strictes, avance Jean-Paul Marthoz, journaliste auteur d’En première ligne — Le journalisme au cœur des conflits (éditions Mardaga, 2018). Interdit par exemple de parler à la population. »

« Un record »

« Dans un embed, on veut vous montrer quelque chose dans un contexte plus ou moins contrôlé, analyse Claude Guibal. Il faut questionner l’information qu’on nous donne à ce moment-là, qui n’est de toute façon pas complète. » Parfois, ces embed prennent en effet l’allure de « press tour », admet Dorothée Olliéric. « C’est pas du tout le sens de notre métier, évoque la grand reporter de France 2, mais quand tu n’as pas d’autres solutions pour te rendre sur le terrain, tu le fais. »

« Nous ne voyons rien dans ce conflit que nous n’ayons jamais vuque ce soit l’interdiction d’accès aux journalistes internationaux ou la mort de journalistes locaux, résume Ayman Mhanna, directeur exécutif général de la Fondation Samir Kassir pour la liberté de la presse, mais nous atteignons de nouveaux sommets à Gaza. » Selon Reporters sans frontières, 220 journalistes ont été tués à Gaza depuis octobre 2023. Parmi eux, au moins 56 ont été ciblés par l’armée israélienne ou tués dans l’exercice de leur travail selon l’ONG, qui y voit « un recordpour un territoire aussi petit, en un laps de temps relativement court ».

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