L’humoriste et influenceur Toufiluk, de son vrai nom Toufic Braidi, a été arrêté à l’aéroport international de Beyrouth lundi soir à son arrivée en provenance de Londres où il réside depuis plus de cinq ans. Dans la foulée, il a été interrogé par la Sûreté générale qui lui a confisqué son passeport. A sa sortie de l’avion, le jeune homme de 22 ans s’était filmé pour son compte Instagram dans les couloirs de l’AIB ironisant sur le fait qu’il pourrait être arrêté. « Si vous n’avez pas de nouvelles de moi dans les prochaines dix minutes, ça voudra dire qu’ils m’ont enlevé, qu’ils m’ont arrêté à l’aéroport ». La boutade s’est concrétisée quelques minutes plus tard. « On m’a présenté une feuille A4 quasi vierge sur laquelle étaient écrits mon nom, mon lieu et ma date de naissance, ainsi qu’une mention pour un retrait de passeport, mais sans aucun motif », raconte Toufic Braidi à L’OLJ. Il se présentera mercredi pour un interrogatoire devant la branche des Renseignements de la Sûreté générale. Selon lui, il est convoqué pour répondre à des accusations « d’insulte à la présidence de la République ».
Cet affaire visant un humoriste qui a près de 500 000 followers sur Instagram a déclenché une vague de condamnations sur les réseaux sociaux, où nombre d’internautes déploraient la « répression des militants » et la montée en puissance d’un « État policier ». En face, des partisans du Courant Patriotique libre (CPL) sont montés au créneau, affirmant que la convocation de Toufic Braidi est en réalité due « à son manque de respect pour le passeport libanais ». Dans un sketch diffusé le 20 mai dernier sur ses pages, Toufiluk énumère les différentes façons d’utiliser son passeport libanais: en « sous-verre », pour « laver les vitres » ou en « mouchoir en papier » … « Si on m’a arrêté au motif que j’ai ‘insulté’ le passeport, pourquoi ne l’ont-ils pas fait plus tôt quand je suis revenu au Liban en juin dernier », rétorque-t-il, en déplorant le « ridicule des partisans aounistes ».
La semaine dernière, des partisans du CPL avaient pu obtenir d’une société émiratie d’hôtellerie qu’elle annule le titre de résidence d’une activiste libanaise, Amani Danhach – alias Ammounz – très suivie sur les réseaux sociaux, à cause de ses vidéos satiriques contre le pouvoir libanais, notamment le président Michel Aoun et le chef du CPL Gebran Bassil.
« Protection de la liberté d’expression »
Au Liban, la diffamation, la calomnie ou l’insulte de responsables publics relèvent du pénal et les personnes jugées coupables d’avoir insulté le président, le drapeau ou l’emblème de la nation encourent jusqu’à deux ans de prison. Des ONG, dont Human Rights Watch (HRW), ont souvent dénoncé ces dispositions « incompatibles avec les obligations internationales du Liban envers la protection de la liberté d’expression ».
« Quelle image méprisante donnent nos dirigeants au reste du monde ! Nous sommes dans un pays libre, et non pas dans une dictature à ce que je sache. Il ne faut surtout pas que ce genre d’incident pousse les gens à ne plus oser s’exprimer de manière totalement libre », lance Toufic Braidy, appelant toutefois les militants résidant à l’étranger à ne pas revenir au Liban, afin de ne pas rencontrer de problèmes similaires à leur arrivée. Les autorités libanaises arrêtent et même condamnent régulièrement des citoyens pour avoir critiqué des responsables publics, mais ils sont souvent graciés ou leurs sanctions allégées.
En juin 2020, le procureur général près la Cour de cassation, le juge Ghassan Oueidate, avait chargé les enquêteurs de la police judiciaire de lancer des investigations pour déterminer l’identité de personnes ayant diffusé des publications et des images portant atteinte au chef de l’État, Michel Aoun. Il avait en outre demandé à la Cour de cassation que les détenteurs de ces comptes sur les réseaux sociaux soient poursuivis pour diffamation et outrage public, les textes et images incriminés étant visibles de tous. Le Liban se situe à la 102ème place sur 180 pays dans le dernier classement annuel de la liberté de la presse, établi par Reporters sans Frontières, perdant une place supplémentaire par rapport à 2019 dans une trajectoire descendante entamée en 2015. Le rapport de RSF sur le Liban pointe du doigt « une liberté d’expression attaquée ».