Cela fait plusieurs semaines que le projet de loi sur les médias, actuellement à l’étude par la commission de l’Administration et de la Justice présidée par le député Georges Adwan (Forces libanaises), fait couler beaucoup d'encre. En cause : des amendements attribués au ministre de l’Information, Paul Morcos, que des organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International et le centre SKeyes de la fondation Samir Kassir, ont dénoncés dans un communiqué publié mardi, les qualifiant d'atteintes à la liberté d'expression et de la presse.
Le ministre a, lui, catégoriquement nié dans plusieurs déclarations avoir proposé de tels changements, portant notamment sur trois points principaux : la réintroduction de la détention préventive des journalistes pour certaines infractions ; le remplacement de la simple « notification » par un régime de licence, synonyme de restrictions excessives à la création de médias ; et l’interdiction faite aux journalistes de parler des affaires judiciaires qui les concernent.
Un document daté du 2 septembre, et consulté par L’Orient-Le Jour, présente ces nouvelles modifications comme émanant du ministre de l'Information, sans toutefois mentionner explicitement le nom de Paul Morcos. Contacté, le député Georges Atallah, rapporteur de la commission, assure qu'« aucun amendement n’a été soumis de la part du ministre » et précise que « ces propositions avaient en réalité été avancées par les gouvernements précédents ». Le ministre, lui, rappelle à L'OLJ que la version en examen est « celle publiée sur le site officiel du ministère », soit le projet de texte soumis à la commission en mai 2025.
Des ONG dénoncent
Une dizaine d'ONG jugent que certains amendements polémiques constitueraient « un net recul en matière de protection de la liberté d’expression et de la presse au Liban », dont la réintroduction de la détention préventive « dans des circonstances aggravantes, telles qu’une atteinte à la dignité ou à la vie privée des individus ». Or, au Liban, la détention préventive n’est permise que pour les infractions passibles de plus d’un an de prison et elle est expressément interdite pour les délits liés aux médias dans la législation en vigueur, rappelle leur communiqué. Le caractère vague de notions comme « dignité » ou « vie privée » risque en outre de « favoriser l’autocensure et d’ouvrir la voie à des abus visant à museler la contestation pacifique ».
Ces associations critiquent également un amendement interdisant aux médias poursuivis en justice de publier tout contenu concernant le plaignant tant que la procédure est en cours, rappelant que « les autorités libanaises recourent régulièrement aux lois sur la diffamation et l’injure pour réduire au silence journalistes, militants et médias critiques ». Enfin, les organisations s’opposent à l’instauration de nouvelles obligations administratives qui contraindraient les chaînes de télévision licenciées à fournir régulièrement au ministère de l’Information et au Conseil national de l’audiovisuel des rapports détaillant leur programmation et soumettraient les médias électroniques à un régime d’autorisation préalable plutôt qu’à une simple déclaration. De telles dispositions, estiment-elles, ouvriraient la voie à des « décisions arbitraires sur la création et l’activité des médias, au détriment de la liberté d’expression et de la presse ».
« Valeur sacrée »
Le Parlement libanais avait commencé en 2010 l’examen d’une nouvelle loi sur les médias, suite à une proposition de l’ancien député Ghassan Moukheiber et la Maharat Foundation, une ONG libanaise spécialisée dans la liberté d’expression et le développement des médias. En janvier 2023, une sous-commission avait été chargée de réviser le texte, dont une version finale a ainsi été transmise à la commission susmentionnée le 27 mai 2025. Un projet qui comporte « des avancées notables en matière de protection du droit à la liberté d’expression au Liban, notamment l’abolition de la détention préventive et des peines de prison pour toutes les infractions liées à l’expression ». Il abroge également « les dispositions du code pénal et de la loi sur la justice militaire relatives à la diffamation et à l’injure », indiquent ainsi les ONG.
La commission a entamé le 29 juillet l’examen de cette version et tenu au moins trois réunions depuis en présence du ministre Paul Morcos. Le député Georges Adwan a affirmé mardi à l’issue de la réunion de la commission au Parlement vouloir finaliser rapidement ce projet de loi – sans les amendements polémiques – et le transmettre à la séance plénière pour adoption. En somme, « plusieurs semaines de polémiques qui n'ont pas lieu d'être », estime le ministre de l'Information à L'OLJ, qualifiant la liberté des journalistes de « valeur sacrée ».