Le trailer mis en ligne depuis une semaine fait un tabac sur
les réseaux sociaux.
Sioufi, paisible matinée de dimanche. La quiétude rejoint la
lente montée de l’ascenseur, jusqu’au 11e étage d’un immeuble résidentiel.
Arrivé au seuil de l’appartement, le visiteur sursaute : une plaque porte
l’indication « bureau de la censure ». Un flot d’images surgit alors,
figeant pour quelques secondes le doigt qui pointe vers la sonnerie d’entrée.
Défilent les ciseaux de la Sûreté générale, vénérable gardienne de la
conscience nationale, fureteuse des scénarios de cinéma et de théâtre, des
suggestions outrageuses de débauche et de mécréance ; traqueuse des complices
de la haute trahison. Parce que l’art est un vicieux champ de mines, qu’il faut
purger, Mamnou3 (interdit), nouvelle web-série libanaise, qui sera lancée
demain 1er juillet*, est l’éloge miné du bureau de censure. Dix épisodes de
sept minutes simulent la vie à l’intérieur du bureau de la SG, sous forme d’un
documentaire-fiction donnant la parole aux officiers responsables de la lourde
tâche – mais ô combien nécessaire – de mutiler les productions artistiques.
Le visiteur scrute de près la plaque qui l’avait fait sursauter. Elle s’avère
un simple carton accolé au mur, poli de sorte à ressembler à du métal. Comme un
grotesque bouffon qui se veut roi. L’observateur en rit, et derrière la porte
qui s’ouvre pour l’accueillir, c’est l’équipe de tournage de Mamnou3 qu’il
retrouve en pleine action. Les acteurs, en uniforme militaire olive, défilent
dans un décor de bureaux délabrés, de dossiers empilés sous la poussière, que
balaie, de temps à autre, le souffle des ventilateurs enrouillés. Réplique des
administrations publiques. Accent sur la désuétude, tant dans la forme que le
fond, de la pratique censoriale, fondée sur un texte de loi lacunaire, issu du
mandat français, et dont la SG exploite les nombreux vides. « Plutôt que
de dénoncer le bureau de censure, Mamnou3 est une incitation à abandonner des
principes qui ne sont plus d’actualité », souligne Ayman Mehanna,
directeur du centre SKeyes pour les libertés médiatiques et culturelles, qui
parraine la web-série. « Ce projet représente pour nous un nouvel outil de
lutte contre la censure », ajoute-t-il. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un
séminaire, organisé par SKeyes en décembre 2011, sur le thème de la lutte
réfléchie contre la censure, que l’idée de la web-série a germé. Derrière
l’initiative, Nadim Lahoud, un jeune financier, ingénieur de formation, qui n’a
d’expérience dans la production de films que les courts-métrages qu’il filmait
à l’école. « Ce projet n’a certes pas été facile à entreprendre, mais en
même temps, le regard extérieur que je porte sur l’industrie du film a été un
avantage », confie-t-il. Avantage pour mieux en gérer le budget réduit,
mais aussi pour exprimer, sans crainte – comme celle que peuvent avoir
peut-être, certains artistes –, l’aberration de l’idée même de censure.
« Dans l’art, il est interdit d’interdire », lance-t-il, comme une
évidence. « Avec Mamnou3, nous voulons au moins inciter le public à se
demander qui censure, pourquoi et de quel droit ? » explique-t-il, faisant
remarquer toutefois que « notre premier but est de faire rire ! »
Le scénario, rédigé par Camille Salamé, est guidé par des exemples réels, dont
le public a pu juger du ridicule. Mamnou3 veut justement en dépeindre le
burlesque, dans l’absolu, et sans déverser entièrement dans le caricatural.
Cette approche rejaillit également au niveau de la mise en scène de la
web-série. « Nous avons veillé à ce que les rôles soient joués le plus
naturellement possible, sans artifices, malgré de petites exagérations
ponctuelles, dissimulées », affirme Nina Najjar, la réalisatrice de
Mamnou3. Ayman Mehanna explique cette nuance. « Plutôt que de dénoncer le
bureau de censure, Mamnou3 est une incitation à abandonner des principes qui ne
sont plus d’actualité. Et c’est là la caricature, en tant qu’exagération qui
reflète le caractère profond du personnage », dit-il. C’est cet équilibre
précis, entre la réalité, souvent saugrenue, et l’agrément d’humour qu’incarne
le personnage de « Sidna », ou le colonel directeur du bureau de la
censure, joué par Paul Mattar. « La censure est beaucoup plus gentille
qu’elle ne le old_paraît », estime-t-il, comme pour minimiser le rôle même du
bureau de censure. « Le vrai problème est la confiance qui est absente
dans le rapport entre l’État et le peuple, qu’il estime incapable de
s’autogérer », selon lui. Cette « maturation » qui manque
rejaillit dans la pratique latente de la censure. Mamnou3 old_paraît, dans ce
contexte, une expression concrète, nuancée de l’esprit acerbe. Le trailer mis
en ligne depuis une semaine fait un tabac sur les réseaux sociaux. Ses épisodes
promettent, à partir de demain, d’ébaucher d’une manière ludique une profonde
émancipation...
*Les épisodes de Mamnou3 seront lancés en ligne chaque semaine à partir du
01/07/2012 sur www.mamnou3.com, YouTube,
www.skeyesmedia.org et les réseaux sociaux, Facebook et Twitter notamment.